Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/77

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raison. Vous aurez à payer les pots cassés, prince. Il a pris des informations sur vous, je l’ai entendu dire, et demain certainement un de ses amis ira vous trouver, peut-être même vous attend-il déjà chez vous. Si vous daignez me choisir comme témoin, je courrai volontiers pour vous le risque d’être fait soldat ; c’est pour cela que je vous cherchais, prince.

— Ainsi vous aussi vous venez me parler duel ! s’écria le prince, et il éclata de rire au grand étonnement de Keller. Celui-ci, ne sachant pas encore si son offre serait acceptée, était comme sur des épines, et il se sentit presque offensé par cette hilarité.

— Pourtant, prince, vous l’avez saisi par les bras. Un noble personnage souffre difficilement qu’on en use ainsi avec lui, surtout en public.

— Mais, lui, il m’a donné un coup dans la poitrine ! reprit en riant le prince : — il n’y a pas de raison pour que nous nous battions ! Je lui ferai des excuses, voilà tout ! Mais s’il faut se battre, eh bien, on se battra ! Qu’il m’appelle sur le terrain, je préfère même cela. Ha, ha ! Je sais maintenant charger un pistolet. Vous savez charger un pistolet, Keller ? Il faut commencer par acheter de la poudre, la choisir sèche et pas trop grosse, pas comme celle avec laquelle on charge les canons. Ensuite on met d’abord la poudre, on arrache du feutre au bourrelet d’une porte, puis on introduit la balle, mais il faut avoir soin de mettre la poudre avant la balle, parce que, autrement, ça ne partirait pas. Vous entendez, Keller ? ça ne partirait pas. Ha, ha ! Est-ce que ce n’est pas une raison superbe, ami Keller ? Ah, Keller, savez-vous que je vais vous embrasser ? Ha, ha, ha ! Comment tantôt vous êtes-vous ainsi trouvé tout à coup devant lui ? Venez, sans tarder, boire du Champagne chez moi. Nous nous enivrerons tous ! Savez-vous que j’ai douze bouteilles de Champagne dans la cave de Lébédeff ? Il me les a vendues avant-hier, le lendemain de mon arrivée à sa villa ; « c’est une occasion », m’a-t-il dit ; je les ai achetées toutes ! Je réunirai toute une société ! Est-ce que vous dormirez, cette nuit ?