Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/91

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— Qu’est-ce que vous voyez ? demanda-t-il.

Radomsky ne répondit pas à cette question.

— Mais ne me soupçonnez-vous pas, cher prince, reprit-il en continuant à sourire, — ne me soupçonnez-vous pas d’être venu tout bonnement pour vous tromper et tâcher de vous faire parler, hein ?

Le prince, à la fin, se mit à rire lui-même.

— Que vous soyez venu pour me faire parler, cela n’est pas douteux, et même peut-être avez-vous résolu de me tromper un peu aussi. Mais je n’ai pas peur de vous ; d’ailleurs, à présent, le croirez-vous ? tout cela m’est égal. Et… et… comme, avant tout, je suis persuadé que vous êtes un excellent homme, nous finirons, au bout du compte, par devenir bons amis. Vous m’avez beaucoup plu, Eugène Pavlitch, vous êtes… un homme très, très comme il faut, à mon avis !

— Eh bien, en tout cas, il est fort agréable d’avoir affaire à vous, quelle que soit même cette affaire, conclut Eugène Pavlovitch ; — allons, je vais vider une coupe à votre santé ; je suis très-content de m’être accroché à vous. Ah ! fit-il en s’arrêtant tout à coup : — ce monsieur Hippolyte est venu habiter chez vous ?

— Oui.

— Il ne mourra pas tout de suite, je pense ?

— Eh bien ?

— Rien ; j’ai passé ici une demi-heure avec lui… Pendant que les deux interlocuteurs causaient à l’écart, Hippolyte, qui attendait toujours le prince, n’avait cessé de l’observer, lui et Eugène Pavlovitch. Lorsqu’ils s’approchèrent de la table, une vivacité fiévreuse se manifesta chez le malade. Il était agité, excité, la sueur ruisselait sur son front. Dans ses yeux brillants et toujours inquiets se lisait une impatience vague ; son regard allait machinalement d’un objet à l’autre, sans se fixer sur aucun. Quoiqu’il eût pris jusqu’alors une grande part à la conversation générale, son animation n’avait qu’un caractère fébrile, il n’écoutait pas