Page:Dostoïevski - Le Double, 1919.djvu/56

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mère se mit à pleurer, où le père lui-même sanglota. C’était un brave vieux que le conseiller d’État Olsoufi Ivanovitch. Il avait longtemps servi. Il avait perdu l’usage de ses jambes, mais le sort avait récompensé son zèle. Il possédait un capital, une petite maison, des biens fonciers et sa fille : une beauté. Il sanglotait comme un enfant et disait à travers ses larmes : « Son Excellence est un grand bienfaiteur !!… »

Je ne saurais non plus vous dire les instants qui suivirent. André Philippovitch, lui aussi, à cette heure solennelle ne semblait plus du tout un chef de bureau du département, il semblait tout autre. Il était plus que cela. Que ne possédé-je le secret du haut style, du grand style afin de décrire ces instants de beauté et d’édification. Ils sont la preuve éminente que parfois la vertu triomphe du vice et de l’envie !

Je ne parlerai pas, mais, mieux que toute éloquence, mon silence vous fera voir l’heureux jeune homme qui entre dans ses vingt-six ans, le neveu d’André Philippovitch, qui se lève à son tour et qui prononce un toast, tandis que se fixent sur lui les yeux larmoyants de Clara Olsoufievna, les yeux enthousiastes des invités, les yeux envieux de quelques jeunes collègues. Je ne vous dirai rien. Il me faut pourtant remarquer que chez ce jeune homme tout semble d’un vieillard, à commencer par ses joues luisantes. Tout dans cet instant solennel semble dire :