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LES
NUITS BLANCHES[1]



Et n’était-ce pas sa part de bonheur,
Vivre seulement un instant
Dans l’intimité de ton cœur ?

Iv. Tourgueneff.

PREMIÈRE NUIT

La nuit était merveilleuse, — une de ces nuits comme notre jeunesse seule en connut, cher lecteur. Un firmament si étoilé, si calme, qu’en le regardant on se demandait involontairement : Peut-il vraiment exister des méchants sous un si beau ciel ? — et cette pensée est encore une pensée de jeunesse, cher lecteur, de la plus naïve jeunesse. Mais puissiez-vous avoir le cœur bien longtemps jeune !

En pensant aux « méchants », je songeai, non sans plaisir, à la façon dont j’avais employé la journée qui venait de finir. Dès le matin, j’avais été pris d’un étrange chagrin : il me semblait que tout le monde me fuyait, m’abandonnait, qu’on me laissait seul. Certes, on serait en droit de me demander : Qui est-ce donc ce « tout le monde » ? Car, depuis huit ans que je vis à Pétersbourg, je n’ai

  1. On appelle Nuits blanches, à Saint-Pétersbourg, cette époque de l’été où le soleil se couche vers neuf heures du soir et se lève vers une heure du matin.
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