Page:Dostoïevski - Le Joueur - Les Nuits Blanches, trad. Kaminski, ed. Plon, 1925.djvu/163

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
157
les nuits blanches

— cet ami, une connaissance récente, s’embarrasse-t-il, se guinde-t-il tant, après ses premières saillies (s’il en trouve), en regardant le visage défait du maître du logis, qui finit lui-même par perdre tout à fait la carte après des efforts énormes mais vains pour animer la conversation, montrer du savoir-vivre, parler du beau sexe aussi, et, par toutes ces concessions, plaire au pauvre garçon qui lui fait visite par erreur ? Pourquoi, enfin, le visiteur se lève-t-il tout à coup, se rappelant une affaire urgente, prend-il son chapeau après un salut désagréable, et retire-t-il avec tant de peine sa main de l’étreinte chaude du maître, qui tâche de lui témoigner par cette étreinte silencieuse un repentir inexplicable ? Pourquoi, une fois dehors, l’ami rit-il aux éclats et se jure-t-il de ne jamais remettre les pieds chez cet homme étrange, un bon garçon pourtant, mais dont il ne peut s’empêcher de comparer la physionomie à la mine de ce malheureux petit chat fripé, tourmenté par les enfants, qui tout à l’heure est venu se blottir sous la chaise, — c’était alors celle du visiteur, — et, dans l’ombre, avec ses deux petites pattes a longuement débarbouillé et lustré son petit museau, et, longtemps encore après, regardait avec ressentiment la nature et la vie…

— Voyons, interrompit Nastenka, qui écoutait très étonnée, les yeux grands ouverts. Je ne sais la raison de rien de tout cela, ni pourquoi vous me faites des questions si étranges, mais sûrement tout cela a dû vous arriver mot pour mot.

— Sans doute, répondis-je très sérieusement.

— Alors, continuez, car je veux connaître la fin...

— Vous voulez savoir, Nastenka, ce qu’est devenu notre petit chat sous sa chaise ou plutôt ce que je suis devenu, puisque je suis le médiocre héros de ces aventures ; vous voulez savoir pourquoi ma journée tout entière fut troublée par cette visite inattendue d’un ami, pourquoi j’étais si agité quand la porte de ma chambre s’ouvrit, pourquoi