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le joueur

— Il y a ici… il existe ici une circonstance particulière, interrompit M. de Grillet sur un ton suppliant où le mécontentement perçait de plus en plus. Vous connaissez Mlle de Comminges ?

— C’est-à-dire Mlle Blanche ?

Mlle Blanche de Comminges et sa mère, Mme veuve de Comminges. Vous savez que le général est amoureux et que le mariage est proche. Imaginez l’effet désastreux d’un scandale, d’une histoire…

— Je ne vois ici ni scandale ni histoire concernant ce mariage.

— Mais le baron est si irascible ! Un caractère prussien, vous savez ; il fera une querelle d’Allemand.

— Alors, cela ne me regarde plus. Je ne suis plus de la maison du général.

Je faisais tout mon possible pour qu’il ne comprît rien à ce que je lui disais.

— Et d’ailleurs, s’il est entendu que Mlle Blanche épouse le général, qu’attend-on ? Et pourquoi cachait-on ce projet aux gens de la maison ?

— Je ne peux pas vous… enfin, ce n’est pas encore… enfin… vous savez qu’on attend des nouvelles de Russie. Le général a besoin d’arranger ses affaires.

— Ah ! la babouschka !

De Grillet me regarda avec haine.

— En tout cas, reprit-il, je compte sur votre obligeance, sur votre esprit, sur votre tact… Certainement, vous ferez cela pour cette famille, où vous êtes aimé comme un parent, estimé…

— Mais enfin, j’ai été chassé. Vous prétendez maintenant que c’est pour la forme ; mais convenez que si on vous disait : « Je ne veux pas te tirer les oreilles, mais tu dois dire partout que je te les ai tirées », vous n’en seriez pas très flatté.

— Alors, si aucune prière n’a d’effet sur vous, reprit-il sévèrement et avec hauteur, permettez-moi de vous dire