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le joueur

derniers, je voyais moins M. Astley et que Paulina était devenue pour moi de plus en plus énigmatique, — énigmatique au point que, en racontant mon amour à M. Astley, je n’avais rien pu dire de précis sur mes relations avec elle. Tout y était fantastique, bizarre, anormal.

— Je suis confus, dis-je encore, je ne puis rien comprendre nettement à toute cette affaire… — Je suffoquais. — Du reste, je vous tiens pour un très galant homme… Autre chose : je vais vous demander non pas un conseil, mais votre opinion…

Je me tus, puis, après quelques instants, je repris :

— Que dites-vous de la lâcheté du général ? Il a fait toute une affaire de mon escapade, toute une affaire ! De Grillet lui-même, qui ne s’occupe que de choses graves, s’en est mêlé ; il a daigné me faire une visite, me prier, me supplier, lui ! moi ! Enfin, remarquez ceci : il est venu chez moi à neuf heures du matin, et il avait déjà entre les mains le billet de Mlle Paulina. Quand donc avait-elle écrit ce billet ? L’avait-on réveillée pour cela ? Elle obéit à toutes les suggestions qui émanent de lui, et, s’il le veut, elle descend jusqu’à me demander pardon ; mais je ne vois pas quel intérêt la pousse. Pourquoi ont-ils peur de ce baron, et qu’est-ce que cela leur fait que le général épouse Mlle Blanche de Comminges ? Ils disent qu’ils doivent, pour ce motif, avoir une tenue particulière ; mais convenez que tout cela est déjà beaucoup trop particulier. Qu’en dites-vous ? Je lis dans vos yeux que vous êtes mieux informé que moi.

M. Astley sourit et hocha la tête en signe d’affirmation.

— Oui, dit-il, je suis mieux informé que vous. Mlle Blanche est l’unique cause de tous ces ennuis, voilà toute la vérité.

— Mais quoi ! Mlle Blanche !… m’écriai-je avec impatience, car j’espérais apprendre quelque chose de précis sur Paulina.

— Ne vous semble-t-il pas que Mlle Blanche a un