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le joueur

savez pas défendre le nom de Russe que vous portez. Allons ! soulevez-moi. Et toi, Alexis Ivanovitch, ne manque pas de me montrer ce baron à la promenade, ce fon[1] baron ! Et la roulette où est-elle ?

J’expliquai que la roulette se trouvait dans le salon de la gare. Elle me demanda alors s’il y avait beaucoup de joueurs, si le jeu durait toute la journée, en quoi consistait le jeu. Je répondis enfin qu’il valait mieux qu’elle vît la chose de ses propres yeux, car la meilleure explication n’en pourrait donner qu’une idée très imparfaite.

— Eh bien ! menez-moi tout de suite à la gare. Marche devant, Alexis Ivanovitch.

— Comment, ma tante, vous ne prendrez pas d’abord un peu de repos ?

Le général et tous les siens semblaient inquiets. Ils redoutaient quelque excentricité publique de la babouschka. Cependant ils avaient tous promis de l’accompagner.

— Je ne suis pas fatiguée. Voilà cinq jours que je n’ai pas bougé. Nous irons visiter les sources, et puis ce Schlagenberg… C’est bien cela, dis, Prascovia ?

— Oui, babouschka.

— Et qu’y a-t-il encore à voir ?

— Beaucoup de choses, babouschka, dit Paulina avec un air embarrassé.

— Oui, je te vois, tu ne sais pas toi-même. Marfa, tu viendras avec moi à la roulette, dit-elle à sa dame de compagnie.

— Mais cela ne se peut pas, ma tante. On ne laissera entrer ni Marfa ni Potapitch.

— Quelle bêtise ! Parce que c’est un domestique ? Mais c’est un homme tout de même. Et je suis sûre qu’il désire aussi voir tout cela. Et avec qui pourraient-ils y aller si ce n’est avec moi ?

  1. Fon, prononciation figurée de von, particule nobiliaire des Allemands.