Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/14

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cins ; mieux que personne au monde, je sais que je ne nuis qu’à moi-même. Il n’importe ; c’est par malice que je ne me soigne pas. Mon foie est malade ? qu’il le soit plus encore !

Il y a longtemps, une vingtaine d’années, que je vis ainsi, et voici que j’ai quarante ans. J’appartins jadis à l’administration, mais je l’ai quittée. J’étais un employé fort grincheux et grossier, et j’avais du plaisir à l’être. Car n’acceptant pas de pots-de-vin, il me fallait bien quelque compensation. (Cette plaisanterie n’est pas fameuse, mais je ne la barrerai pas. En l’écrivant, je croyais qu’on la goûterait comme très spirituelle et, maintenant, je m’aperçois que ce n’est qu’une lâche fanfaronnade, c’est pourquoi je ne l’effacerai pas.)

En quête de renseignements, les gens s’approchaient-ils de mon bureau ? Tout aussitôt, je leur montrais les dents et j’éprouvais une volupté ineffable pour si peu que je réussisse à chagriner quelqu’un, comme il arrivait le plus souvent.

C’étaient pour la plupart des personnes timides ; cela se conçoit : elles avaient besoin de moi. Mais, parmi les petits-maîtres, il était un officier que je ne pouvais souffrir. Il s’obstinait à traîner son sabre avec un fracas insupportable. Je lui fis la guerre à ce sujet pendant dix-huit mois au bout desquels je finis par le vaincre : il renonça à son vacarme. C’est là, d’ailleurs, un souvenir de ma jeunesse. Mais, Savez-vous, Messieurs, en quoi consistait sur-