Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/161

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mauvais sujet. Ce sera bien comme ça. — Pourquoi bien ? La voilà sur le côté. C’était cependant une créature humaine, n’est-ce pas ? Eh bien, va, ça sera bien, jette la terre. » Ils ne voudront pas même se disputer longuement à propos de toi. Ils te couvriront vite de glaise bleuâtre trempée et s’en iront au cabaret… Voilà ton souvenir disparu de la terre. Les autres ont des enfants, des pères, des maris qui viennent sur leur tombe, et pour toi, il n’y aura ni larme, ni soupir. Personne ne gardera ton souvenir et personne, personne dans tout l’univers ne viendra. Ton nom disparaîtra de la surface terrestre — comme si tu n’avais jamais existé et n’étais pas venue au monde ! La boue et la vase ; tu pourrais bien frapper dans le couvercle de ta bière, la nuit, quand les morts se relèvent : « Bonnes gens, laissez-moi vivre un peu dans le monde ! J ai vécu sans connaître la vie, ma vie n’a servi à rien ; on l’a bue dans un cabaret de la Sennaïa ; laissez-moi vivre encore une fois, bonnes gens ! »

Et je devenais pathétique, à un tel point que je sentais des spasmes serrer ma gorge et… soudain, je m’arrêtai, je me levai effrayé et inclinant timidement la tête ; je commençai à écouter pendant que mon cœur palpitait. Il y avait de quoi s’émouvoir.

Je l’avais deviné depuis longtemps que j’avais troublé son âme et brisé son cœur, et plus j’en étais