Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/185

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Apollon, déjà installé à son ouvrage et ayant déjà remis ses lunettes, regarda d’abord l’argent de travers, en silence et sans quitter l’aiguille ; ensuite, sans faire aucune attention à moi, et sans rien me répondre, continua à s’occuper de son aiguille, qu il enfilait encore. J’attendis environ trois minutes, de vaut lui les bras croisés à la Napoléon. Mes tempes étaient mouillées de sueur ; j’étais pâle, je le sentais. Mais, grâce à Dieu, il eut certainement pitié de moi, en me voyant. Ayant enfilé son aiguille, il se leva lentement, écarta lentement sa chaise, ôta lentement ses lunettes, compta lentement l’argent, et enfin, me demanda par-dessus son épaule : « Faut-il prendre une portion entière ? » puis sortit lentement de la chambre. En revenant vers Lisa, il me vint cette pensée : « Ne ferais-je pas mieux de me sauver comme je suis, en robe de chambre, droit devant moi, n’importe où ? »

Je me rassis. Elle me regarda avec inquiétude. Nous gardâmes le silence pendant quelques minutes.

— Je le tuerai ! m’écriai-je soudain, en donnant un fort coup de poing sur la table, de sorte que de l’encre jaillit hors de l’encrier.

— Ah ! qu’avez-vous ! s’écria-t-elle, en tressaillant.

— Je le tuerai ! je le tuerai ! glapis-je, frappant la table, hors de moi et comprenant parfaitement, en même temps, combien c’était bête d’être dans une fureur pareille.