Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/189

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qui arriva. Elle devint pâle comme un linge, elle voulut dire quelque chose, ses lèvres grimacèrent douloureusement : comme assommée d’un coup de massue, elle tomba sur une chaise. Et ensuite tout le temps elle m’écoutait, la bouche ouverte, les yeux agrandis et tremblant d’une peur atroce. Le cynisme, le cynisme de mes paroles l’anéantissait…

— Sauver ! continuai-je, quittant ma chaise et courant devant elle d’un bout à l’autre de ma chambre, sauver de quoi ! Mais je suis, peut-être, pire que toi. Pourquoi ne me l’as-tu pas jeté à la figure, quand je te faisais la morale ! « Et toi-même. qu’es-tu venu faire ici chez nous ? Est-ce pour faire de la morale ? » — C’est de la puissance, de la puissance qu’il me fallait alors. Une comédie ! Il me fallait obtenir tes larmes, ton humiliation, ta crise — voilà ce qu il me fallait alors ! Je ne pouvais plus y tenir moi-même, parce que je ne vaux rien. Je me suis effrayé et Dieu sait pourquoi je t’ai donné sottement mon adresse. De sorte qu’à peine rentré, je t’envoyais au diable à cause de cette adresse. Je te haïssais, parce que je t’avais menti alors. Parce que j’ai besoin de jouer la comédie, de rêvasser : mais en réalité, sais-tu ce qu’il me faut : que le diable vous emporte, voilà tout ! J’ai besoin de calme. Je donnerais tout l’univers pour un liard, pourvu que l’on ne me dérange pas. Le monde devrait-il disparaître, ou bien, moi, me passer de thé ?