Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/24

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peut-être même quelque chose de mystique… Mais nous en parlerons plus loin.)

Eh bien, Monsieur, c’est cet homme sortant de l’ordinaire que je considère comme l’homme véritable, normal, tel que l’indique notre tendre mère nature en le mettant complaisamment sur la terre. J’envie cet homme jusqu’à en secréter des îlots de bile. Il est bête, je vous l’accorde, mais il se peut que l’homme normal doive être bête — qu’en savez-vous ? — et que ce soit au mieux. Cette hypothèse se confirme encore, si, en face de l’homme normal, on place son antithèse, l’homme à la conscience hypertrophiée, et qui n’est certainement pas sorti du sein de la nature, mais de quelque cornue. (C’est presque du mysticisme, Messieurs, mais je crois bien que c’est la vérité.) Alors, cet homme de cornue file doux devant son antithèse, parce qu’en sa conscience hypertrophiée, il se considère comme une souris et non pas comme un homme. Souris à conscience hypertrophiée, c’est toujours une souris, tandis que l’autre est un homme ; par conséquent… etc…

Le plus grave, c’est que c’est lui-même, lui-même, qui s’estime à l’égal d’une souris ; personne ne le lui demande ; ceci est un fait capital. Jetons donc un coup d’œil sur la souris en action. Par exemple, supposons-la offensée (elle l’est presque toujours) et désireuse de se venger. Elle amassera peut-être plus de rancune que l’homme de la nature et de la vérité.