Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/250

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pu souffrir Ivan Matveïtch. Pour toute ma vie et dès l’enfance, il me garda sous sa tutelle. Mille fois j avais eu velléité d’en finir, mais toujours quelque chose me ramenait à lui comme si j’eusse espéré le convaincre de je ne sais quoi et me venger enfin. Singulière amitié dont je peux dire que les neuf dixièmes n’étaient que de la haine. Cette fois, pourtant, nous nous séparâmes sur une bonne impression.

— Votre ami est un homme des plus intelligents, me dit l’Allemand à demi-voix en me reconduisant, car il avait écouté notre conversation de bout en bout.

— A propos, fis-je, de peur de l’oublier, combien voudriez-vous de votre crocodile, si l’on vous proposait de vous l’acheter ?

Ivan Matveïtch, ayant entendu la question, attendit la réponse avec beaucoup d’intérêt. Il me sembla évident qu’il lui eut été fort désagréable de voir l’Allemand demander une somme insuffisante. Au moins toussa-t-il d’une façon assez singulière.

Tout d’abord. L’Allemand ne voulut rien entendre et alla même jusqu’à se fâcher.

— Que personne n’ose jamais me demander de vendre mon crocodile ! s’écria-t-il furieusement et plus rouge qu’une écrevisse. Je ne veux pas me défaire de mon crocodile ! Je n’accepterais pas un million de thalers pour ce crocodile. Il m’a rapporté aujourd’hui cent trente thalers d’entrées.