Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/298

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Au contraire, et sans doute de par sa longue pratique du silence, Sémione Ivanovitch avait le geste et la parole brefs et, s’il lui arrivait de s’engager dans quelque trop longue période, un mot en déclenchait un autre, cet autre un troisième et ainsi de suite, de sorte qu’en avant bientôt la bouche pleine, il ne les émettait plus que dans le plus pittoresque désordre. C’est pourquoi, en dépit de toute sa sagesse, il lui arrivait de lâcher des bêtises. Il répondit :

— Tu mens ! Tu n’es qu’un noceur. Mais tu finiras par prendre ton sac et t’en aller mendier. Tu n’es qu’un libre-penseur, un va-nu-pieds. Voilà pour toi, poétaillon !

— Sémione Ivanovitch, vous continuez à divaguer.

— Sais-tu ? répondit le malade, un sot divague, un chien divague et le sage emploie son intelligence. Tu ne connais rien à rien, va-nu-pieds, savant que tu es… livre imprimé ! Un jour, tu prendras feu et tu ne t’apercevras même pas que ta tête brûle. Comprends-tu l’apologue ?

— Eh bien… mais… c’est-à-dire… qu’est-ce que vous dites ? que ma tête brûlera ?

D’ailleurs, Marc Ivanovitch n’acheva pas. Tout le monde voyait bien que Sémione Ivanovitch n’avait pas repris son équilibre mental et qu’il divaguait. Mais la logeuse ne put se tenir de rappeler incidemment qu’il y avait une fille chauve