Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/300

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On eut dit qu’on l’attendait. Tout le monde lui fît signe d’approcher au plus vite. Enchanté et sans même ôter son pardessus, il s’approcha du lit.

Sans aucun doute, Zimoveikine avait traversé dans la soirée des moments difficiles. Le côté droit de son visage disparaissait sous un pansement ; ses paupières tuméfiées se trempaient du pus épanché par ses yeux et, de sa redingote, de tout son costume en loques, la partie gauche se trouvait enduite d’on ne savait quelle sale boue. Il portait sous le bras un violon qu’évidemment il allait vendre. On n’avait pas eu tort de l’appeler à la rescousse, car, dès qu’il sut de quoi il retournait, il s adressa à Sémione Ivanovitch d’un air de supériorité consciente, comme un homme qui connaît le bouton à pousser.

— Voyons, Sienka, s’écria-t-il, lève-toi. Voyons Sienka, Prokhartchine le sage, rends-toi à la raison. Si tu t’obstines, je te jette hors du lit : ne t’obstine pas, veux-tu ?

La brève énergie de ce discours ne laissa pas d’étonner les assistants. Mais ils s’étonnèrent encore bien plus en constatant que ces paroles et l’aspect du personnage impressionnaient, effrayaient Prokhartchine, à un tel point, que c’est à peine s’il put se décider à murmurer entre ses dents l’indispensable anathème :

— Toi, malheureux, va-t’en. Tu n’es qu’un mi-