Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/34

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meurtri plus que tout le reste. Il m’est pénible d’y penser et c’était aussi pénible alors. Mais, au bout d’une minute environ, je me rendais compte avec colère que tous ces repentirs, ces attendrissements, ces serments de se corriger, n’étaient que mensonges, mensonges ingénieux autant qu’ignobles. Mais vous me demandez pourquoi je me torturais à ce point, pourquoi je me donnais la peine de faire tant de simagrées ? Mon Dieu, il m’ennuyait de rester à rien faire et j’usais de subterfuges pour tromper mon ennui. C’est ainsi. Observez-vous vous-mêmes, Messieurs, et de votre mieux : vous comprendrez qu’il en est ainsi. Je m’imaginais des aventures ; je me forgeais une vie pour vivre d’une vie quelconque. Combien de fois m’est-il arrivé de m’offenser sans raison, pour le plaisir ? Et je savais bien n’avoir aucun motif de me fâcher, mais je faisais comme si j’en eusse eu et je finissais par me sentir offensé pour tout de bon. Toute ma vie j’ai eu un penchant pour ces tours-là, si bien qu’à la fin, je n’étais plus maître de moi-même.

D’autres fois, j’avais envie de tomber amoureux ; cela m’est arrivé à deux reprises. J’ai bien souffert, Messieurs, je vous l’assure. Au fond de mon cœur, je ne croyais pas à cette souffrance ; je m’en moquais, mais je souffrais cependant et de la bonne façon ; j’étais jaloux ; j’étais hors de moi… Et toujours par ennui, Messieurs, toujours par ennui. L’inertie me pesait tant ! Car le fruit direct et lo-