Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/45

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la considération de ses vrais intérêts, c’est, d’après moi, la même chose, presque, que d’affirmer, par exemple, avec Buckle, que la civilisation adoucit l’homme et, par conséquent, le rend moins sanguinaire et moins porté à la guerre. Il me paraît que c’est là ce qu’il résulte de son raisonnement. Mais, l’homme tient tellement à son système et à sa déduction abstraite, qu’il en serait capable d’altérer sciemment la vérité, de feindre la surdité et l’aveuglement dans le but unique de ne pas infirmer sa théorie. C’est ce qui m’incite à prendre cet exemple réellement frappant.

Regardez autour de vous : le sang coule à flots, aussi joyeusement que du champagne, Voilà donc ce XIXe siècle où vécut Buckle. Voilà Napoléon le grand et celui de nos jours. Voilà l’Amérique et ses états unis dans une alliance éternelle ! Et voilà cette caricature du Schleswig-Holstein… Je vous demande ce qu’adoucit en nous la civilisation ?

La civilisation, elle, se contente de développer chez l’homme la variété des sensations et puis, c’est tout ! Qui sait si ce goût des sensations variées n’amènera pas l’homme à trouver des jouissances dans le sang ? Cela lui est déjà arrivé. Avez-vous remarqué que la plupart des sanguinaires vraiment raffinés furent presque toujours des personnages fort civilisés dont tous les Attila, tous les Stenka Rasine ne valent pas la semelle de leurs bottes.