Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/75

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résigné à une expression vile, pourvu que mon visage exprimât en même temps une grande intelligence.

Je détestais, bien entendu, tous les employés de mon bureau, du premier au dernier, et je les méprisais tous, et en même temps, c’était comme si je les craignais. Il m’arrivait de les trouver supérieurs à moi-même. Cela me prenait tout d’un coup. Tantôt je les méprisais, tantôt je les jugeais supérieurs à moi. Un homme brave et intelligent ne pourrait être vaniteux sans être d’une exigence illimitée envers soi-même et sans se mépriser jusqu’à la haine, à certains moments. Mais soit que je le trouvasse au-dessous des autres, ou que je le méprisasse. je baissais les yeux presque devant chaque nouveau venu. J’en faisais même des expériences : Supporterai-je le regard d’un tel ? Et j’étais toujours le premier à baisser les yeux. Cela me torturait a me rendre fou. J’avais une peur maladive de paraître ridicule, et j’adorais servilement la routine en tout ce qui avait rapport à l’extérieur. Je me jetais avec passion dans l’ornière commune et je m’effrayais de tout mon cœur de toutes les excentricités que je pouvais avoir. Mais aurais-je pu y tenir ? J’étais développé maladivement, comme le doit être un homme de notre temps. Ils étaient tous stupides et se ressemblaient comme les moutons d’un troupeau. Possible, j’étais le seul au bureau se croyant constamment lâche et servile, pré-