Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/79

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remarquer que s’il nous est arrivé d’avoir des romantiques bêtes, cela ne peut pas compter, c’était uniquement parce que, à l’apogée de leurs forces, ils se transformaient en Allemands. Pour mieux conserver leur bijou, ils s’installaient là-bas, quelque part, surtout à Weimar ou dans la Forêt Noire.

Moi, par exemple, je méprisais sincèrement l’administration, et je ne protestais pas, par nécessité, parce que j’y étais moi-même et que j’étais payé. Notre romantique perdrait plutôt la raison (ce qui arrive rarement cependant) mais il ne protesterait pas, à moins d’avoir en vue une autre carrière, ou d’être mis à coups de pied dehors. Il se peut qu’on l’enferme dans un asile d aliénés, comme « roi d’Espagne », et cela encore s’il était trop violent. Mais chez nous il n’y a que les blonds et les faibles qui perdent la raison. Mais une masse de romantiques obtiennent ensuite de l’avancement. Quelle diversité remarquable ! Et quelle faculté d’impressions variées. Cela me consolait alors, et je suis encore du même avis. C’est pourquoi nous avons tant de natures « larges », qui ne perdent jamais leur idéal, si bas qu’ils soient tombés. Ils ne feraient rien pour leur idéal, ce sont des voleurs et des bandits reconnus, mais ils l’adorent avec des larmes et sont extraordinairement honnêtes dans le fond du cœur. Oui, Monsieur, le plus fieffé coquin peut être complètement et même supérieurement honnête dans l’âme, sans pour cela cesser d’être un coquin.