Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/83

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qu’à protester, et certainement, on m’eût fait passer parla fenêtre. Mais je réfléchis et préférai m’effacer avec rage.

Je quittai la taverne, troublé et ému ; j’allai chez moi, et je me replongeai le lendemain dans ma petite débauche, plus timidement, plus tristement et plus humblement qu’avant. Ne croyez pas cependant que j’eus peur de l’officier par poltronnerie. Je n’ai jamais été poltron dans l’âme, malgré ma peur constante. Mais attendez de rire, cela a besoin d’une explication. J’ai une explication à tout, soyez-en certain.

Oh ! si cet officier eut été un de ceux qui veulent bien se battre en duel ! Mais non, c’était précisément un de ces messieurs (hélas ! depuis longtemps disparus) qui préféraient se servir de queues de billard, ou bien, comme le lieutenant Pirogov, de Gogol, agir administrativement. Mais ils ne se battaient pas en duel, et avec nous autres, pékins, ils considéraient inconvenant de se battre. D’ailleurs, en général, ils regardaient le duel comme une chose insensée, libertine, française ; mais ils insultaient très volontiers, surtout quand ils étaient de haute taille.

J’eus peur non par lâcheté, mais par excès d’amour-propre. J’avais peur non de sa haute taille, non d’être battu et descendu par la fenêtre ; le courage physique était suffisant ; mais le courage moral me manquait. J’avais peur que tous les assistants, y