Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/85

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meure et je donnai dix kopecks au portier pour savoir où il restait, à quel étage, seul ou avec quelqu’un, etc. En un mot, tout ce qu’on pouvait apprendre du portier. Un matin, malgré que je n’aie jamais écrit, il me vint l’idée de présenter sous forme de nouvelle la caractéristique de cet officier, en caricature. J’écrivis cette nouvelle avec délice. Je critiquais, je calomniais même. Je changeai le nom de façon à ce que l’on pût le reconnaître tout de suite, mais après, ayant mûrement réfléchi, je corrigeai cela et envoyai le récit aux Annales de la Patrie. Mais alors on ne critiquait pas et on n’imprima pas ma nouvelle. Ma contrariété en fut vive. Quelquefois la colère m’étouffait. Enfin, je me décidai à provoquer mon adversaire. Je lui écrivis une lettre charmante, attrayante, le suppliant de me faire des excuses ; mais en cas de refus, je faisais des allusions assez nettes au duel. La lettre était rédigée d’une telle façon, que si l’officier eût compris tant soit peu « le beau et l’élevé », il serait certainement venu chez moi, pour me sauter au cou et m’offrir son amitié. Et comme cela eût été bien ! Nous aurions si bien vécu ensemble ! si bien ! « Il m’aurait défendu par sa prestance ; à mon tour, je l’aurais ennobli par mon intelligence, et aussi… par mes idées, et bien des choses auraient pu arriver ! » Figurez-vous, qu’il y avait déjà deux ans qu’il m’avait offensé, et mon défi était l’anachronisme le plus monstrueux, malgré toute l’adresse de ma lettre, qui