Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/118

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pouvait bien lui vouloir. Ce n’était pas non plus la femme en général qu’il redoutait en elle ; certes, il connaissait peu les femmes, mais n’avait pourtant vécu qu’avec elles depuis sa tendre enfance jusqu’à son arrivée au monastère. Mais, dès leur première entrevue, il avait éprouvé précisément pour cette femme-là, une sorte d’épouvante. Il l’avait rencontrée deux ou trois fois au plus, et n’avait échangé que quelques mots avec elle. Il se la rappelait comme une belle jeune fille, fière et impérieuse. Ce n’était pas sa beauté qui le tourmentait, mais quelque chose d’autre, et son impuissance à expliquer la peur qu’elle lui inspirait augmentait cette peur. Le but que poursuivait la jeune fille était à coup sûr des plus nobles : elle s’efforçait de sauver Dmitri coupable envers elle, et cela par pure générosité. Néanmoins, malgré son admiration pour ces nobles sentiments, un frisson le parcourait à mesure qu’il approchait de chez elle.

Il s’avisa qu’il ne trouverait pas en sa compagnie Ivan, son intime, alors retenu certainement par leur père. Dmitri ne pouvait pas davantage être chez Catherine Ivanovna, et il en pressentait la raison. Leur conversation aurait donc lieu en tête à tête ; mais auparavant, Aliocha désirait voir Dmitri et, sans lui montrer la lettre, échanger avec lui quelques mots. Or, Dmitri demeurait loin et n’était sans doute pas chez lui en ce moment. Après une minute de réflexion et un signe de croix hâtif, il eut un sourire mystérieux et se dirigea résolument vers la terrible personne.

Il connaissait sa maison. Mais en passant par la Grand-Rue, puis en traversant la place, etc., il eût mis un certain temps, à l’atteindre. Sans être grande, notre ville est fort dispersée et les distances considérables. De plus, son père se souvenait peut-être de l’ordre qu’il lui avait donné et était capable de faire des siennes. Il fallait donc se hâter. En vertu de ces considérations, Aliocha résolut d’abréger, en prenant par les derrières ; il connaissait tous ces passages comme sa poche. Par les derrières, cela signifiait longer des clôtures désertes, franchir parfois des haies, traverser des cours où d’ailleurs chacun le connaissait et le saluait. Il pouvait ainsi atteindre la Grand-Rue en deux fois moins de temps. À un certain endroit, il dut passer tout près de la maison paternelle, précisément à côté du jardin contigu au leur, qui dépendait d’une petite maison à quatre fenêtres, délabrée et penchée de guingois. Cette masure appartenait à une vieille femme impotente, qui vivait avec sa fille, ancienne femme de chambre dans la capitale, récemment encore en service chez des gens