Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/169

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J’ai mauvais cœur, je suis capricieuse. C’est uniquement pour me moquer du pauvre Dmitri Fiodorovitch que j’ai fait sa conquête.

— Mais vous allez maintenant le sauver, vous me l’avez promis. Vous lui ferez comprendre, vous lui révélerez que depuis longtemps vous en aimez un autre prêt à vous épouser…

— Mais non, je ne vous ai rien promis de pareil. C’est vous qui avez dit tout cela, et pas moi.

— Je vous ai donc mal comprise, murmura Catherine Ivanovna, qui pâlit légèrement. Vous m’avez promis…

— Ah ! non, angélique demoiselle, je ne vous ai rien promis, interrompit Grouchegnka avec la même expression gaie, paisible, innocente. Voyez, digne mademoiselle, comme je suis mauvaise et volontaire. Ce qui me plaît, je le fais ; tout à l’heure, je vous ai peut-être fait une promesse, et maintenant je me dis « si Mitia allait me plaire de nouveau », car une fois déjà il m’a plu presque une heure. Peut-être vais-je aller lui dire de demeurer chez moi à partir d’aujourd’hui… Voyez comme je suis inconstante…

— Tout à l’heure vous parliez autrement… murmura Catherine Ivanovna.

— Oui ! Mais j’ai le cœur tendre, je suis sotte ! Rien qu’à penser à tout ce qu’il a enduré pour moi, si, de retour chez moi, j’ai pitié de lui, qu’arrivera-t-il ?

— Je ne m’attendais pas…

— Oh ! mademoiselle, que vous êtes bonne et noble à côté de moi. Et peut-être, maintenant, allez-vous cesser de m’aimer en voyant mon caractère, demanda-t-elle tendrement, et elle prit avec respect la main de Catherine Ivanovna. Je vais baiser votre main, chère mademoiselle, comme vous avez fait de la mienne. Vous m’avez donné trois baisers, je vous en devrais bien trois cents pour être quitte. Il en sera ainsi, et après à la grâce de Dieu ; peut-être serai-je votre esclave et voudrai-je vous complaire en tout, qu’il en soit ce que Dieu voudra, sans aucunes conventions ni promesses. Donnez-moi votre main, votre jolie main, chère mademoiselle, belle entre toutes ! »

Elle porta doucement cette main à ses lèvres, dans l’étrange dessein de « s’acquitter » des baisers reçus. Catherine Ivanovna ne retira pas sa main. Elle avait écouté avec un timide espoir la dernière promesse de Grouchegnka, si étrangement exprimée fût-elle, de lui « complaire aveuglément » ;