Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/198

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— Ils m’ont dit que vous me connaissiez et que vous m’aviez lancé une pierre à dessein », demanda Aliocha.

L’enfant le regardait d’un air sombre.

« Je ne vous connais pas. Est-ce que vous me connaissez ? continua-t-il.

— Laissez-moi tranquille ! s’écria soudain le garçon d’une voix irritée et le regard hostile, mais sans quitter sa place ; il semblait attendre quelque chose.

— C’est bien, je m’en vais, fit Aliocha, mais je ne vous connais pas et ne veux pas vous taquiner. Pourtant vos camarades m’ont dit comment il fallait faire. Adieu.

— Espèce d’ensoutané ! cria le gamin en suivant Aliocha du même regard haineux et provocant. Il se mit sur la défensive, croyant que celui-ci allait se jeter sur lui, mais Aliocha se retourna, le regarda, et suivit son chemin. Il n’avait pas fait trois pas qu’il reçut dans le dos le plus gros des cailloux qui remplissaient la poche du pardessus.

— Comment, par-derrière ! C’est donc vrai, ce qu’ils disent, que vous attaquez en traître ? »

Aliocha se retourna ; visé à la figure, il eut le temps de se garer et un nouveau projectile l’atteignit au coude.

« N’avez-vous pas honte ? Que vous ai-je fait ? » s’écria-t-il.

Le gamin attendait, silencieux et agressif, persuadé que cette fois Aliocha riposterait ; voyant que sa victime ne bougeait toujours pas, il devint furieux comme un petit fauve et s’élança. Avant qu’Aliocha eût pu faire un mouvement, le drôle lui avait empoigné la main gauche et cruellement mordu un doigt. Aliocha poussa un cri de douleur, et tâcha de se dégager. Le gamin le lâcha enfin, recula à l’ancienne distance. La morsure, près de l’ongle, était profonde ; le sang coulait. Aliocha sortit son mouchoir, en enveloppa solidement sa main blessée. Cela prit environ une minute. Cependant le gamin attendait. Aliocha leva sur lui son paisible regard.

« Eh bien, dit-il, voyez comme vous m’avez mordu cruellement. Ça suffit, je pense ! Maintenant, dites-moi ce que je vous ai fait. »

Le garçon le considéra avec surprise.

« Je ne vous connais pas du tout et vous vois pour la première fois, poursuivit Aliocha, avec le même calme, mais je dois vous avoir fait quelque chose, vous ne m’auriez pas tourmenté pour rien. Alors, dites-moi, que vous ai-je fait, en quoi suis-je coupable devant vous ? »

En guise de réponse, l’enfant se mit à sangloter et se sauva. Aliocha le suivit lentement dans la rue Saint-Michel et l’aperçut