Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/290

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— C’est vrai.

— De plus, tu étais tombé du grenier cette fois-là.

— Je peux en tomber demain, car j’y monte tous les jours. Si ce n’est pas au grenier, je tomberai à la cave. J’y descends aussi chaque jour. »

Ivan le considéra longuement.

« Tu manigances quelque chose que je ne comprends pas bien, fit-il à voix basse, mais d’un air menaçant. N’as-tu pas l’intention de simuler une crise pour trois jours ?

— Si je pouvais simuler — ce n’est qu’un jeu quand on en a l’expérience — j’aurais pleinement le droit de recourir à ce moyen pour sauver ma vie, car lorsque je suis dans cet état, même si Agraféna Alexandrovna venait, votre frère ne pourrait pas demander des comptes à un malade. Il aurait honte.

— Eh diable ! s’écria Ivan Fiodorovitch, les traits contractés par la colère, qu’as-tu à craindre toujours pour ta vie ? Les menaces de Dmitri sont les propos d’un homme furibond, rien de plus. Il tuera quelqu’un, mais pas toi.

— Il me tuerait comme une mouche, moi le premier. Je crains davantage de passer pour son complice, s’il attaquait follement son père.

— Pourquoi t’accuserait-on de complicité ?

— Parce que je lui ai révélé en secret… les signaux.

— Quels signaux ? Que le diable t’emporte ! Parle clairement.

— Je dois avouer, traîna Smerdiakov d’un air doctoral, que nous avons un secret, Fiodor Pavlovitch et moi. Vous savez sans doute que depuis quelques jours il se verrouille sitôt la nuit venue. Ces temps, vous rentrez de bonne heure, vous montez tout de suite chez vous ; même vous n’êtes pas sorti du tout ; aussi vous ignorez peut-être avec quel soin il se barricade. Si Grigori Vassiliévitch venait, il ne lui ouvrirait qu’en reconnaissant sa voix. Mais Grigori Vassiliévitch ne vient pas, parce que maintenant je suis seul à son service dans ses appartements — il en a décidé ainsi depuis cette intrigue avec Agraféna Alexandrovna ; d’après ses instructions je passe la nuit dans le pavillon ; jusqu’à minuit je dois monter la garde, surveiller la cour au cas où elle viendrait ; depuis quelques jours l’attente le rend fou. Il raisonne ainsi : on dit qu’elle a peur de lui (de Dmitri Fiodorovitch, s’entend), donc elle viendra la nuit par la cour ; guette-la jusqu’à minuit passé. Dès qu’elle sera là, cours frapper à la porte ou à la fenêtre dans le jardin, deux fois doucement, comme