Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/63

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du péché. Je prierai pour le repos de l’âme de ton fils ; comment s’appelait-il ?

— Alexéi, mon Père.

— C’est un beau nom. Il avait pour saint patron Alexéi, « homme de Dieu » ?

— Oui, mon Père, Alexéi, « homme de Dieu[1]».

— Quel grand saint ! Je prierai pour lui, mère, je n’oublierai pas ton affliction dans mes prières ; je prierai aussi pour la santé de ton mari ; mais c’est un péché de l’abandonner, retourne vers lui, prends-en bien soin. De là-haut, ton fils voit que tu as abandonné son père et pleure sur vous. Pourquoi troubler sa béatitude ? Il vit, car l’âme vit éternellement, il n’est pas dans la maison, mais il se trouve tout près de vous, invisible. Comment viendra-t-il, si tu dis que tu détestes ta demeure ? Vers qui viendra-t-il, s’il ne vous trouve pas à la maison, s’il ne vous trouve pas ensemble, le père et la mère ? Il t’apparaît maintenant et tu es tourmentée ; alors il t’enverra de doux songes. Retourne vers ton mari, mère, et dès aujourd’hui.

— J’irai, bien-aimé, selon ta parole, tu as lu dans mon cœur. Nikitouchka, tu m’attends, mon chéri, tu m’attends », commençait à se lamenter la femme, mais le starets se tournait déjà vers une petite vieille, habillée non en pérégrine, mais en citadine. On voyait à ses yeux qu’elle avait une communication à faire. C’était la veuve d’un sous-officier, habitante de notre ville. Son fils Vassili, employé dans un commissariat, était parti pour Irkoutsk, en Sibérie. Il lui avait écrit deux fois, mais depuis un an il ne donnait plus signe de vie ; elle avait fait des démarches et ne savait où se renseigner.

« L’autre jour, Stéphanie Ilinichna Bédriaguine, une riche marchande, m’a dit : « Écris sur un billet le nom de ton fils, Prochorovna[2], va à l’église, et commande des prières pour le repos de son âme. Son âme sera dans l’angoisse et il t’écrira. C’est un moyen sûr et fréquemment éprouvé. » Seulement, j’ai des doutes… Toi qui es notre lumière, dis-moi si c’est bien ou mal ?

  1. La légende de saint Alexis, « l’homme de Dieu » est encore aussi populaire en Russie qu’elle l’était en France au Moyen Âge.
  2. Fille de Prochore. En s’adressant aux personnes de condition inférieure, on omet parfois le prénom et on les désigne par le simple patronyme.