Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/75

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

réfute les principes « fondamentaux et essentiels » de son adversaire, un ecclésiastique, remarquez-le. Les voici. Premièrement : « Aucune association publique ne peut ni ne doit s’attribuer le pouvoir, disposer des droits civils et politiques de ses membres. » Secondement : « Le pouvoir, en matière civile et criminelle, ne doit pas appartenir à l’Église, car il est incompatible avec sa nature, en tant qu’institution divine et qu’association se proposant des buts religieux. » Enfin, en troisième lieu : « L’Église est un royaume qui n’est pas de ce monde. »

— C’est là un jeu de mots tout à fait indigne d’un ecclésiastique ! interrompit de nouveau le Père Païsius avec impatience. J’ai lu l’ouvrage que vous réfutez, dit-il en se tournant vers Ivan Fiodorovitch, et j’ai été surpris des paroles de ce prêtre : « L’Église est un royaume qui n’est pas de ce monde. » Si elle n’est pas de ce monde, elle ne saurait exister sur la terre. Dans le saint Évangile, les mots « pas de ce monde » sont employés dans un autre sens. Il est impossible de jouer avec de semblables paroles. Notre-Seigneur Jésus-Christ est venu précisément établir l’Église sur la terre. Le royaume des cieux, bien entendu, n’est pas de ce monde, mais au ciel, et l’on n’y entre que par l’Église, laquelle a été fondée et établie sur la terre. Aussi les calembours mondains à ce sujet sont-ils impossibles et indignes. L’Église est vraiment un royaume, elle est destinée à régner, et finalement son règne s’étendra sur l’univers entier, nous en avons la promesse… »

Il se tut soudain, comme se contenant. Ivan Fiodorovitch, après l’avoir écouté avec déférence et attention, dans le plus grand calme, continua avec la même simplicité, en s’adressant au starets.

« L’idée maîtresse de mon article, c’est que le christianisme, dans les trois premiers siècles de son existence, apparaît sur la terre comme une église et qu’il n’était pas autre chose. Lorsque l’État romain païen eut adopté le christianisme, il arriva que, devenu chrétien, il s’incorpora l’Église, mais continua à demeurer un État païen dans une foule d’attributions. Au fond, cela était inévitable. Rome, en tant qu’État, avait hérité trop de choses de la civilisation et de la sagesse païennes, comme, par exemple, les buts et les bases mêmes de l’État. L’Église du Christ, entrée dans l’État, ne pouvait évidemment rien retrancher de ses bases, de la pierre sur laquelle elle reposait ; elle ne pouvait que poursuivre ses buts, fermement établis et indiqués par le Seigneur lui-même, entre autres : convertir en Église le monde entier et, par