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iv
AVERTISSEMENT.

prit la moindre part ; toute sa faute ne fut qu’un rêve défendu ; l’instruction ne put relever contre lui aucune charge effective. Chez nous, il eût été au centre gauche ; en Russie, il alla au bagne.

Englobé dans l’arrêt commun qui frappa ses complices, il fut jeté à la citadelle, condamné à mort, gracié sur l’échafaud, conduit en Sibérie ; il y purgea quatre ans de fers dans la « section réservée », celle des criminels d’État. Le romancier y laissa des illusions, mais rien de son honneur ; vingt ans après, en des temps meilleurs, les condamnés et leurs juges parlaient de ces souvenirs avec une égale tristesse, la main dans la main ; l’ancien forçat a fait une carrière glorieuse, remplie de beaux livres, et terminée récemment par un deuil quasi officiel. Il était nécessaire de préciser ces points, pour qu’on ne fit pas confusion d’époques ; il n’y eut rien de commun entre le proscrit de 1848 et les redoutables ennemis contre lesquels le gouvernement russe sévit aujourd’hui de la même façon, mais à plus juste titre.

Un des compagnons d’infortune de l’exilé, Yastrjemsky, a consigné dans ses Mémoires le récit d’une rencontre avec Dostoïevsky, au début de leur pénible voyage. Le hasard les réunit une nuit dans la prison d’étapes de Tobolsk, ou ils trouvèrent aussi un de leurs complices les plus connus, Dourof. Ce récit peint sur le vif l’influence bienfaisante du romancier. « On nous conduisit dans une salle étroite, froide et sombre. Il y avait là des lits de planches avec des sacs bourrés de foin. L’obscurité était complète.