Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/12

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ques mots liminaires : il faut bien que je dise qui je suis, d’où je viens et quel pouvait être mon état d’es­prit au matin de ce 19 septembre fatidique, — ainsi serai-je plus compréhensible, sinon à un lecteur improbable, du moins à moi-même.

II

Mon âge : vingt ans. Je me nomme Dolgorouki. Légalement, j’ai pour père Macaire Ivanovitch Dolgo­rouki. Je suis donc enfant légitime. Ce qui ne m’em­pêche pas d’être enfant naturel, et cela à un degré éminent, — car sur mon origine il n’y a pas le moin­dre doute. Voici la chose. Il y a vingt-deux ans, le propriétaire rural Versilov (c’est mon père), qui avait alors vingt-cinq ans, visitait sa terre de la province de Toula. Cet homme qui m ’impressionnait déjà si fort dans mon enfance, qui a eu si grande influence sur la formation de mon esprit et qui peut-être a scellé à sa marque tout mon avenir, il est curieux que cet homme me soit encore maintenant, sous beaucoup de rapports, une énigme. C’est précisément vers le temps de cette inspection qu’il devint veuf. Il avait épousé une jeune fille de famille noble, de fortune modeste, une Fanariotov ; il avait d’elle un fils et une fille. Des renseignements sur cette femme qui le quitta si tôt, j’en ai, dans le fouillis de mes papiers, mais très incomplets. Au surplus, maintes circons­tances de la vie privée de Versilov m’échappent, tant il fut toujours envers moi compassé, mystérieux et indifférent, encore que, par moments, il m’étonnât