Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/209

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mais c’était ainsi. « Et c’est la réalité pourtant », pensais-je, et le courage me manquait. Je me représentais avec fureur comment ces gens-là allaient me toiser. Mieux certes eût valu rester chez moi. Mais c’est impossible. Je n’aurais cessé ensuite de me railler moi-même en me disant : Ah ! tu as eu peur de la réalité ! ― Il fallait leur prouver ma supériorité, leur imposer l’admiration, leur donner à choisir entre Zvierkov et moi, et triompher. Pourtant… pourquoi faire ? D’eux tous je n’eusse pas donné un demi-kopeck. Oh ! je priais Dieu que cette journée n’eût qu’une heure ! ― Je m’accoudai à la fenêtre et je me mis à considérer la neige qui tombait épaisse et fondante…

Enfin ma mauvaise horloge sonna cinq coups. Je pris mon chapeau, j’évitai Apollon qui attendait ses gages depuis le matin, mais par sottise ne voulait pas en parler le premier. Je me glissai dehors, et une voiture ― pour mes derniers kopecks ― m’amena comme un barine à l’hôtel de Paris.