Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/112

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auparavant ? Je t’aurais aimée, je t’aurais tant aimée ! Mais est-ce que les gamins te frappaient fort dans la rue ?

— Ah ! oui. J’avais si peur d’eux.

— Ah ! les vilains ! Sais-tu, Niétotchka, j’ai vu moi-même comment un gamin en battait un autre. Demain, sans rien dire, je prendrai le martinet de Falstaff, et si j’en rencontre un, je le battrai tant qu’il s’en souviendra.

Ses yeux brillaient d’indignation.

Nous étions effrayées quand quelqu’un entrait. Nous avions peur qu’on ne nous surprît nous embrassant, et ce jour-là nous nous embrassâmes au moins cent fois. Ainsi passa cette journée et la suivante. J’avais peur de mourir enthousiasme. J’étouffais de bonheur. Mais notre joie ne dura pas longtemps.

Mme  Léotard devait rendre compte à la princesse de chacun de nos mouvements. Elle nous observa pendant trois jours, et durant ces trois jours, elle eut beaucoup à raconter. Enfin elle alla trouver la princesse et lui raconta tout ce qu’elle avait observé : que nous étions ensemble comme deux folles, que depuis trois jours nous ne nous quittions plus, que nous nous embrassions à chaque instant, que nous pleurions et riions comme des folles, que nous ne cessions de bavarder, ce qui ne nous arrivait pas auparavant, et qu’elle ne savait à quoi attribuer ce changement. Elle ajouta qu’il lui semblait que Catherine traversait une crise maladive, et qu’à son avis il vaudrait mieux que nous nous vissions plus rarement.

— Je le pressentais depuis longtemps, répondit la princesse. Je savais que cette étrange orpheline nous causerait beaucoup de tracas. Ce qu’on m’a raconté de sa vie passée fait horreur, véritablement horreur ! Évidemment, elle a de l’influence sur Catherine. Vous dites que Catherine l’aime beaucoup ?

— Follement.

La princesse rougit de dépit. Elle était jalouse de moi.

— Cela n’est pas naturel, dit-elle. Auparavant elles étaient étrangères l’une à l’autre, et j’avoue que j’en étais contente. Quelque jeune que soit cette orpheline, je ne réponds de rien. Vous me comprenez. Avec le lait de sa mère elle a déjà reçu son éducation, ses habitudes. Je ne comprends pas ce que le prince trouve en elle. Mille fois j’ai proposé de la mettre au couvent.