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ce marché personnellement avec lui mais que celui-ci refusait obstinément de se rendre à son invitation. Le comte disait en terminant que la somme qu’il proposait représentait le prix réel du violon et que dans l’obstination d’Efimov il voyait quelque chose d’offensant pour lui : le soupçon du désir de profiter de sa simplicité et de son ignorance. C’est pourquoi il demandait au propriétaire d’intervenir.

Le propriétaire fit aussitôt mander mon beau-père. — « Pourquoi ne veux-tu pas vendre ton violon ? lui demanda-t-il. Tu n’en as pas besoin… On te propose trois mille roubles ; c’est un beau prix, et tu n’es qu’un sot si tu penses qu’on t’en donnera davantage. Le comte n’a pas l’intention de te tromper. » Efimov répondit qu’il ne se rendrait pas de sa propre volonté chez le comte, que si son maître l’y envoyait il obéirait à son ordre, mais qu’il ne vendrait pas son violon au comte ; que si on se proposait de le lui prendre de force, là encore son maître était libre.

Cette réponse toucha le maître à son point le plus sensible. Il se flattait, en effet, de savoir se conduire envers ses musiciens, qui tous, disait-il, sans exception, étaient de véritables artistes, grâce à qui son orchestre non seulement était meilleur que celui du comte, mais pouvait rivaliser avec celui de la capitale.

« Bon, répondit le propriétaire, je ferai savoir au comte que tu ne veux pas vendre ton violon, que tu n’as aucun désir de le vendre ; car c’est ton droit absolu de le vendre ou de ne pas le vendre ; comprends-tu ? Mais permets-moi de te demander quel besoin tu as de ce violon. Ton instrument à toi, c’est la clarinette, dont tu joues, au reste, assez mal. Cède-moi le violon, je te donnerai les trois mille. (Qui aurait pu se douter que c’était un instrument d’une telle valeur !) »

Efimov sourit.

— « Non, monsieur, je ne vous le vendrai pas, répondit-il. Sans doute, vous avez le pouvoir…

— « Mais est-ce que je te persécute ? Est-ce que je te contrains ? » s’écria le seigneur hors de lui, d’autant plus que cette discussion avait lieu en présence du violoniste du comte, qui pouvait conclure, d’après cette scène, que le sort des musiciens du propriétaire était peu enviable. « Va-t’en tout de suite, ingrat, que je ne te voie plus ! Qu’aurais-tu fait sans