Page:Doumic - La Poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, 1898.djvu/105

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très grand poète, mais une sorte de personnage mystérieux, légendaire et qui, peu à peu, tournait en idole. Je ne dis pas du tout que Victor Hugo l’ait fait exprès, — bien loin de là : mais c’était un très grand artiste, et justement, l’artiste, inconsciemment, d’instinct, t’ait ce qui est le plus artistique. Et, notez le, si Victor Hugo était resté à Paris, il ne pouvait pas devenir cette espèce d’idole. Enfin ! Victor Hugo, c’était un monsieur qu’on rencontrait dans les rues, sur l’impérial de l’omnibus. Il aimait beaucoup l’impérial de l’omnibus, — non pas parce que ça coûtait moins cher, mais parce que de là il dominait les rues de Paris, dont il aimait infiniment le spectacle. Eh bien, ce monsieur qu’on coudoie, c’est un monsieur comme nous. Mais supposez que le poète soit là-bas, en exil, dans un exil à demi volontaire, réfugié justement dans une île, dans une île où ses pieds sont battus par l’Océan, où son front, comme on le représente dans les vignettes d’alors, touche presque aux nuages: il est entre la mer et le ciel, entre l’Océan et les nuages. Véritablement, ce n’est plus un homme comme nous : c’est une créature spéciale, et on ne va plus s’étonner si, au lieu de poèmes, ce sont quelquefois des oracles qu’il nous envoie.

D’une autre façon encore, cet exil a été infiniment profitable à Victor Hugo. Victor Hugo a vécu là dans le voisinage de l’Océan, et l’Océan a exercé certainement sur son imagination une influence très grande et très féconde. Le Victor Hugo de la fin, de la dernière manière, a une largeur, une abondance qu’on ne lui soupçonnait pas, même dans