Page:Doumic - La Poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, 1898.djvu/107

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début à la fin, ce pour quoi il faut, de la part du poète, un souffle puissant et de la part des lecteurs, beaucoup de patience et de résignation, au lieu de nous donner ainsi un poème épicpie tout d’un bloc, de nous donner des séries de fragments épiques. C’est justement ce que sera la Légende des siècles. Dans la Légende des siècles, Victor Hugo va s’efforcer de nous montrer successivement des tableaux des différentes époques de l’humanité, tableaux dont chacun mettra en relief un trait qui sera caractéristique de l’époque. Et nous allons voir ainsi se succéder l’époque primitive, patriarcale, les temps de la Bible ; nous verrons les temps anciens, nous verrons le moyen âge ; nous arriverons jusqu’à l’époque moderne ; plus loin que l’époque moderne, nous arriverons jusqu’à la fin du monde ; plus loin que la fin du monde, jusqu’au jugement dernier, et plus loin que le jugement dernier. C’est, vous le voyez, l’histoire complète de l’humanité qui se déroule dans cette série de tableaux. Je vous lirai un de ces fragments épiques, pour vous donner une idée du procédé de composition de Victor Hugo.

Je choisis la pièce intitulée la Conscience, qui est aussi bien une des plus belles :

Lorsqu’à vec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,
Échevelé, livide au milieu des tempêtes,
Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
Comme le soir tombait, l’homme sombre arriva
Au bas d’une montagne en une grande plaine ;
Sa femme fatiguée et ses fils hors d’haleine
Lui dirent : Couchons-nous sur la terre, et dormons.
Caïn, ne dormant pas, songeait aux pieds des monts.