Page:Doyle - L’Ensorceleuse.djvu/21

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Bob, un matin, en entrant dans la salle à manger avec une dépêche à la main.

Je vis que Sol me regardait d’un air plein de reproche ; mais cela ne m’empêcha pas de manifester la joie que me causait cette nouvelle.

— On va bien s’amuser quand il sera là, dit Bob. On draguera l’étang, et on fera beaucoup de bonnes parties. N’est-ce pas, Sol, que ce sera drôle ?

Sol trouva sans doute que ce serait d’une drôlerie si grande qu’il n’y avait pas de mots pour la traduire, car il ne répondit que par un grognement inarticulé.

Ce matin-là, je me livrai à une très longue méditation dans le jardin au sujet de Jack. Somme toute, c’était vrai que j’étais grande, comme Bob me l’avait fait observer avec si peu de ménagements. Dès lors, il me faudrait désormais témoigner d’une grande circonspection dans ma manière d’être. Un homme, un vrai, m’avait positivement regardée avec des yeux d’amour. Que Jack fut continuellement pendu à mes trousses ou en train de m’embrasser quand j’étais petite, cela ne tirait pas à conséquence ; mais à présent, il faudrait observer les convenances.

Il allait falloir m’inculquer des habitudes cérémonieuses et réservées. En attendant, j’essayai de me représenter notre première entrevue telle qu’elle se passerait, et j’en fis une manière de répétition générale. Le buisson de houx représentait Jack, et je m’en approchai de mon air le plus compassé, lui adressai une révérence majestueuse et lui tendis la main en disant :

« Je suis enchantée de vous voir, lieutenant ! »

Elsie sortit à ce moment et me surprit au beau milieu de cette cérémonie, mais elle ne m’adressa aucune observation. Toutefois, pendant le déjeuner, je l’entendis qui demandait à Sol si le crétinisme se répandait d’une façon générale dans les familles, ou s’il se limitait simplement aux individus ; cela fit rougir très fort le pauvre Sol, et quand il essaya de lui fournir les explications qu’elle réclamait, il se troubla tellement qu’il se mit à bafouiller presque tout de suite.

Notre basse-cour donne sur l’avenue, à peu près à moitié chemin entre le château et la loge du portier. Sol et moi, en compagnie de M. Nicholas Cronin, le fils d’un squire[1] du voisinage, nous fûmes lui rendre visite après le déjeuner.

Cette imposante démonstration avait pour but de mettre un terme à la rébellion qui avait éclaté dans le poulailler. Les premières nouvelles de la révolte avaient été apportées au château par le jeune Bayliss, l’enfant du garde, qui était venu m’avertir que ma présence était absolument nécessaire. Les volailles rentraient dans mes attributions domestiques, et l’on ne prenait jamais aucune décision à leur égard sans solliciter mon avis.

Le vieux Bayliss sortit en clopinant dès qu’il nous entendit arriver, et nous expliqua tout au long quelle était la cause du tumulte. Il paraît que les ailes de la poule huppée et du coq de Bantam s’étaient développées dans de telles proportions qu’ils avaient réussi à s’introduire dans le parc en volant par dessus le mur, et que le mauvais exemple de ces meneurs avait été si contagieux que même les plus sages en temps ordinaire donnaient aussi des marques d’insoumission et cherchaient à s’introduire en territoire défendu.

Ce qu’elles nous firent courir, les sales bêtes ! Quand je dis « nous », j’entends M. Cronin et moi, car cousin Sol se contenta de nous attendre à l’écart avec les ciseaux qui devaient servir à rogner les ailes aux récalcitrants, en nous prodiguant des paroles d’encouragement.

Les deux coupables, comprirent bien tout de suite que c’était à eux que nous en voulions, car ils coururent se réfugier tantôt derrière le tas de foin, et tantôt sur les cages, avec tant de rapidité qu’il nous sembla bientôt voir au moins une demi-douzaine de poules huppées et de coqs de Bantam à travers la cour.

— Cette fois-ci, nous la tenons ! m’écriai-je, tout essoufflée, en voyant la poule huppée acculée dans un coin. Attrapez-la, monsieur Cronin. Oh ! vous l’avez manquée ! Barrez-lui le passage, Sol. Ah ! mon Dieu, la voici qui vient de mon côté.

  1. Gentilhomme campagnard