Page:Doyle - L’Ensorceleuse.djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dès que j’en ai besoin. Laissez-vous donc faire… cette eau-de-vie n’est pas méchante, allez (ici il remplit une troisième fois nos verres). Qu’est-ce que nous cherchions donc ?

— Les fantômes, lui rappelai-je.

— Ah, c’est juste ; page 41. Nous y sommes. « T.H. Fowler et fils, Dunkel Street, fournisseurs de médiums pour la noblesse et la bourgeoisie ; vente de charmes… philtres d’amour… momies… horoscopes. » Il n’y a rien là-dedans qui fasse votre affaire, n’est-ce pas ?

Je hochai la tête.

Frederick Tabb, — continua le cousin de ma femme, — seule entreprise de communication entre les vivants et les morts. Propriétaire des esprits de Byron, Kirke White, Grimaldi, Tom Cribb et Inigo Jones. C’est à peu près ce que vous demandez, il me semble ?

— Je ne vois là rien de suffisamment romanesque — objectai-je. — Seigneur Dieu ! Imaginez-vous un fantôme de champion de boxe, avec un œil au beurre noir et un mouchoir autour de la ceinture, ou bien un spectre de clown faisant des sauts périlleux et vous demandant : « Comment vous portez-vous, demain ? »

Rien que d’y songer, je sentis une telle chaleur me monter à la tête que je vidai mon verre d’un seul trait et le remplis de nouveau.

— En voici un autre, — reprit mon interlocuteur. — « Christopher Mc Carthy ; séances bi-hebdomadaires… avec la présence des esprits les plus éminents des temps anciens et modernes. Astrologie… charmes… abracadabras, message des morts. » Il pourrait peut-être nous être utile. Mais je vais me mettre en campagne dès demain, et j’irai voir plusieurs de ces individus. Je sais où les trouver, et ce serait bien le diable si je ne vous dénichais pas quelque chose à bon marché. Voilà donc l’affaire réglée, — conclut-il en jetant le registre dans un coin, — et à présent, nous allons boire un coup.

Nous en bûmes même plusieurs — à ce point que le lendemain matin mes facultés inventives étaient encore assoupies, et que j’éprouvai une certaine difficulté à expliquer à Mme D’Odd pourquoi j’avais accroché mes chaussures et mes lunettes à une patère avec mes vêtements, avant de me coucher.

Les nouvelles espérances qu’avait réveillées en moi l’attitude pleine de confiance avec laquelle mon agent avait entrepris de négocier mon affaire, me permirent de vaincre la réaction produite par l’alcool, et j’arpentai les corridors et les salles anciennes, essayant de me représenter quel aspect aurait ma future emplette et cherchant quelle partie du château serait le mieux en harmonie avec ses apparitions.

Après avoir mûrement réfléchi, je finis par opter pour la salle de banquet.

C’était une longue salle basse aux murs tendus d’une tapisserie de valeur et garnie d’intéressantes reliques provenant de l’ancienne famille à laquelle elle avait appartenu. La lueur du feu, se jouant sur les cottes de mailles et l’attirail guerrier qui s’y trouvaient l’emplissait de reflets indécis, et le vent soufflait sous la porte, agitant les tentures avec un bruissement effrayant. À l’une des extrémités s’érigeait l’estrade surélevée où l’on avait jadis coutume de dresser la table du Seigneur et de ses hôtes, tandis qu’en descendant une couple de marches on arrivait à la partie plus basse de la salle, où les vassaux et les serviteurs faisaient bombance. Il n’y avait par terre aucune espèce de tapis, mais à la place, et sur mon ordre, on y avait étalé de la paille. Dans la salle tout entière, rien, absolument rien ne rappelait que l’on vivait au dix-neuvième siècle, exception faite, néanmoins, pour ma vaisselle en argent massif aux armoiries retrouvées, qui était disposée sur une table en chêne placée au centre.

Je résolus donc que cette salle deviendrait la salle hantée au cas où le cousin de ma femme réussirait dans ses négociations avec les marchands d’esprits. Il ne me restait plus, désormais, qu’à attendre patiemment des nouvelles de ses recherches.

Au bout de quelques jours, je reçus une lettre qui, pour être courte, n’en était pas moins encourageante. Elle était griffonnée au crayon sur le verso d’une affiche de théâtre et paraissait avoir été cachetée à l’aide d’un fouloir à tabac.

« Je suis sur la piste, » m’annonçait ce billet. « On ne peut rien trouver, dans le genre que vous cherchez, chez un spirite professionnel, mais j’ai rencontré hier chez un liquoriste quelqu’un qui m’a assuré pouvoir vous fournir ce que vous désiriez. Je vais vous l’envoyer, sauf avis contraire de votre part : dans ce cas, il faudrait me prévenir par dépêche. Cet individu s’appelle Abrahams, et il a déjà traité une ou deux affaires comme la vôtre. »

La lettre se terminait par quelques allusions incohérentes à un chèque à payer, et elle était signée : votre affectueux cousin, Jack Brocket.

Inutile de dire que je ne télégraphiai aucun contre-ordre, et que j’attendis avec une impatience fébrile l’arrivée de ce M. Abrahams. Malgré la foi que j’avais dans le surnaturel, j’avais peine à croire qu’un simple mortel eût assez d’empire sur le monde des esprits pour pouvoir en faire le commerce et les troquer prosaïquement contre du vil métal de ce bas monde. Et pourtant, Jack ne m’avait-il pas affirmé que ce genre de commerce existait réellement, et n’allais-je point recevoir la visite d’un homme au nom hébraïque tout prêt à me le démontrer par des preuves positives ?

Comme il allait devenir tout à coup banal et vulgaire le fantôme dix-huitième siècle de Jorrocks si