Page:Doyle - La Main brune.djvu/41

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nage arrogant et irritable, un de ces individus dont l’attitude est une continuelle provocation pour quiconque travaille sous leurs ordres. Rien ne s’éloignait davantage de la réalité. J’avais devant moi un être timide et frêle, rasé, voûté, et si courtois qu’il en paraissait humble. Ses cheveux touffus grisonnaient abondamment : je jugeai qu’il approchait de la soixantaine. Sa voix était grave et douce, et il y avait dans sa démarche quelque chose de menu et d’emprunté. Son extérieur, en somme, décelait un brave savant, plus habitué au commerce des livres qu’aux affaires pratiques.

« Je ne doute pas que je me félicite de vous avoir pour auxiliaire, Mr. Weld, me dit-il après quelques questions professionnelles. Mr. Percival Manners m’a quitté hier et je serais heureux si vous pouviez demain entrer en fonctions.

— Est-ce, demandai-je, Mr. Percival Manners, de Selwin, dont vous parlez ?

— Précisément. Vous le connaissez ?

— Il est de mes amis.

— Un excellent maître, mais un peu prompt de caractère. Il eut tous les torts. Vous, Mr. Weld, savez-vous bien vous dominer ? Supposez, par exemple, que je m’oublie envers vous jusqu’à me montrer sévère, jusqu’à vous parler durement, jusqu’à vous heurter d’une façon quelconque : garderez-vous l’empire de vous-même ? »

Je souris à l’idée que ce petit homme poli et maniéré me chiffonnât les nerfs.

« Je crois, Monsieur, pouvoir vous en répondre.

— J’ai horreur des querelles. Je tiens à ce que tout le monde vive en bonne harmonie ici. Je ne nierai pas que Mr. Percival Manners ait pu se sentir provoqué ; mais je désire un homme capable de s’élever au-dessus de la provocation, et de sacrifier ses sentiments par amour de la paix et de la concorde.

— Je ferai de mon mieux, Monsieur.

— Vous n’en sauriez dire plus, Mr. Weld. Je vous attends donc ce soir, s’il vous est possible de régler d’ici là toutes vos affaires. »

Non seulement je réglai toutes mes affaires, mais je trouvai le temps de passer au Bénédict Club, de Picadilly, où je savais devoir rencontrer Manners s’il était à Londres. En effet, je l’y rencontrai

« … voici votre nouveau collègue… »
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au fumoir ; et, tout en grillant une cigarette, je l’interrogeai sur les raisons qui l’avaient fait partir précipitamment du collège.

« Viendriez-vous m’annoncer que vous entrez chez le docteur Mc Carthy ? s’écria-t-il, me considérant avec surprise. Mon cher, pas la peine. Vous n’y resteriez pas.

— Mais je l’ai vu. Il m’a fait l’effet de l’homme le plus inoffensif et le plus aimable. Je n’ai jamais trouvé chez personne de manières plus engageantes.

— Oh ! pour ce qui est de lui, parfait. Rien à reprendre. Avez-vous vu Théophile Saint-James ?

— J’entends le nom pour la première fois. Qui voulez-vous dire ?

— Votre collègue, l’autre maître.

— Non, je ne l’ai pas vu.

— C’est lui, le terrible. Si vous le supportez, ou vous avez le courage du parfait chrétien, ou vous n’avez aucun courage.

— Comment se fait-il que Mc Carthy le supporte ? »

À travers la fumée de sa cigarette, mon ami me regarda d’un air significatif et haussa les épaules.

« Vous vous ferez vous-même une opinion là-dessus. La mienne s’est faite très vite et je n’ai jamais eu l’occasion d’en changer.