Page:Doyle - Le Monde perdu.djvu/10

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— N’importe laquelle, pourvu qu’elle comporte de l’aventure et du danger. J’y mettrai, je vous assure, toute ma conscience. Elle me conviendrait d’autant mieux qu’elle serait plus difficile.

— Vous tenez donc à risquer votre vie ?

— Pour me donner une raison de vivre !

— Pardieu ! voilà qui s’appelle de l’enthousiasme, monsieur Malone ! Malheureusement, je crains que le temps ne soit passé de ces sortes d’entreprises. Une mission spéciale donne rarement des résultats en rapport avec les frais qu’elle occasionne ; et, dans tous les cas, elle ne se confie jamais qu’à un homme d’expérience, dont le nom inspire confiance au public. Les grands espaces vierges sur la carte du monde s’effacent de jour en jour, et il n’y a plus de place nulle part pour le romanesque. Mais attendez donc ! fit-il, et son visage s’éclaira d’un sourire. En parlant des grands espaces restés vierges sur la carte, il me vient une idée. Que diriez-vous si je vous chargeais de confondre un imposteur, un moderne Munchhausen, et de le rendre ridicule ? Vous auriez à faire la preuve de ses mensonges. Eh ! eh ! mon ami, cela n’irait pas sans beauté. Que vous en semble ?

— Tout ce que vous voudrez, où et quand vous voudrez.

Mc Ardle réfléchit une minute.

— La question, dit-il enfin, c’est de savoir si vous pourriez vous entendre – ou même simplement causer – avec notre homme. Mais vous semblez avoir une sorte de génie pour vous imposer aux gens : don de sympathie, pouvoir magnétique, effet de vitalité juvénile, ou quelque chose d’analogue, je suppose. J’en ai, pour ma part, le sentiment très net.

— Vous êtes bien aimable.

— Tentez donc la chance auprès du professeur Challenger !

Je ne dissimulai pas ma surprise.

— Challenger ? m’écriai-je ; le professeur Challenger, d’Enmore Park ? le fameux zoologiste ? N’est-ce pas lui qui cassa la tête à Blundell, du Telegraph ?

Le « chef » esquissa un sourire.

— Cela vous trouble ? Vous me disiez que vous cherchiez les aventures.

— Le fait est qu’en voilà une !

— Précisément. Je ne suppose d’ailleurs pas qu’il pousse toujours si loin la violence. Sans doute Blundell le prit mal ou ne sut pas le prendre. Vous pouvez avoir plus de veine ou plus de tact. Il y a là, sûrement, dans le sens indiqué par vous, quelque chose à faire. La Gazette marcherait.

— Mais j’ignore tout de Challenger. Je me souviens seulement d’avoir vu, à propos de Blundell, son nom évoqué en simple police pour coups et blessures.

— Apprenez une chose, monsieur Malone : ce n’est pas d’aujourd’hui que le professeur m’intéresse et que je le tiens de l’œil.

Il sortit un papier d’un tiroir.

— Voici sa fiche. Je vous la résume  :

« Challenger, George-Édouard. Né à Largs (Angleterre septentrionale), 1863. Élève de l’Académie de Largs, Université d’Edimbourg. Adjoint au British Muséum, 1892. Conservateur adjoint du service d’anthropologie comparée, 1893. Résigna ses fonctions la même année, après des lettres acrimonieuses. Titulaire de la médaille Crayston pour recherches zoologiques. Membre étranger de… (suit une kyrielle de noms… plusieurs lignes en petit