Page:Doyle - Le Monde perdu.djvu/69

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nous pour son déjeuner. Mieux vaut apprendre la sagesse que connaître la marmite. Espérons que nous n’avons rien à craindre, mais agissons comme s’il en était différemment. Nous allons, Malone et moi, descendre chercher nos quatre rifles ; nous ramènerons en même temps Gomès et son compagnon ; puis, l’un de nous, sous la protection des autres, pourra traverser seul et éclairer le passage.

Assis sur le tronc du hêtre, Challenger grognait d’impatience. Mais je tombai d’accord avec Summerlee pour admettre l’autorité de lord Roxton dans ces questions pratiques. Regrimper à l’aiguille ne nous coûta que très peu d’efforts, grâce à la corde qui nous en épargnait le plus difficile. Une heure plus tard, nous nous retrouvions à la pointe avec les rifles et un fusil de chasse. Les métis nous avaient accompagnés, et lord Roxton avait eu soin de faire monter par eux tout un ballot de provisions, pour le cas où la première exploration serait de quelque durée. Nous avions chacun une bandoulière de cartouches.

Quand il vit tous les préparatifs terminés :

— Maintenant, Challenger, dit lord Roxton, si vous insistez vraiment pour passer le premier…

— Grand merci de l’aimable autorisation ! fit avec colère le professeur, qui ne supportait l’autorité sous aucune forme ; puisque vous avez la bonté de me le permettre, je veux bien, en cette circonstance, faire acte de pionnier !

Alors, s’asseyant à califourchon, les jambes pendantes sur l’abîme, sa hachette à l’épaule, il eut vite fait de glisser d’un bout à l’autre du tronc ; et se dressant sur le plateau, agitant ses deux bras :

— Enfin ! s’écria-t-il, enfin !

Je le regardai avec angoisse, craignant vaguement que quelque chose de terrible ne déchirât soudain derrière lui le rideau de verdure. Mais tout demeura tranquille. Seul un étrange oiseau bigarré se leva sous ses pieds et s’évanouit dans les arbres.

Summerlee passa le second. C’est merveille qu’une semblable énergie dans un corps si frêle. Il voulut absolument emporter deux fusils, dont un pour son collègue. Je le suivis troisième, et dus me faire violence pour m’empêcher de regarder sous moi l’horrible gouffre béant. Summerlee me tendit le canon de son rifle, et l’instant d’après je lui saisissais la main. Quant à lord Roxton, il traversa debout, – oui, debout, et sans aide ! Il faut que cet homme soit de fer. (À suivre.)

CONAN DOYLE.


LES PERPLEXITÉS D’UN SAVANT

Challenger, accroupi, telle une monstrueuse quenouille, près du feu, sa grosse tête dans ses mains, était perdu dans ses pensées et ne prit pas même garde au bonsoir que Malone lui adressait.

(Page 270, col. 1.)