Page:Doyle - Le Monde perdu.djvu/84

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au terme de nos aventures ; hélas ! nous devions penser le contraire avant de pouvoir goûter un peu de repos. La « porte » du « Fort Challenger » était intacte, les « murs » n’avaient pas une brèche ; mais un mystérieux et puissant visiteur n’y avait pas moins pénétré en notre absence. À défaut de traces sur le sol pour nous servir d’indices, la branche pendante du gingko nous montrait comment il était venu et reparti ; et l’étal de nos provisions ne nous renseignait que trop sur sa vigueur malfaisante. Elles s’éparpillaient de tous les côtés. Une boîte de conserve avait été réduite en pièces ; il ne restait, d’une caisse de cartouches, que de menus morceaux, près desquels nous ramassâmes une douille littéralement déchiquetée. Réenvahis par le sentiment de vague horreur que nous avions déjà éprouvé le matin, nous interrogeâmes d’un regard épouvanté, autour de nous, les profondeurs obscures : peut-être une forme redoutable nous épiait-elle sous le couvert. Et quelle douceur pour nous quand, hélés par la voix de Zambo et courant à son appel, nous l’aperçûmes debout, qui riait à la pointe de l’aiguille !

— Tout va bien, massa Challenger, tout va bien ! cria-t-il. Je reste ici. Ne craignez rien. Vous me trouverez toujours quand vous aurez besoin de moi !

Sa bonne figure et l’immense paysage qui se développait sous nos yeux nous ramenèrent vers le confluent de l’Amazone, nous rappelèrent que nous appartenions encore à la terre du xxe siècle et que nous n’avions pas été transportés par la vertu d’un magicien dans une planète encore à ses origines. Combien il semblait difficile de concevoir que, passé la ligne violette de l’horizon, il y avait le grand fleuve, des steamers, des gens qui s’entretenaient des minuscules affaires de la vie, et qu’abandonnés parmi des créatures d’un autre âge nous ne pouvions plus que tendre, de nos yeux et de nos vœux, vers tout cela !

Il me reste, de cette journée si étonnamment remplie, un dernier souvenir sur lequel je veux terminer ma lettre. Nos deux professeurs, dont les blessures aggravaient, je suppose, l’impatience naturelle, s’étaient pris de querelle sur le fait de savoir si leurs agresseurs appartenaient au genre ptérodactyle ou au genre dimodorphon, et, comme ils échangeaient des paroles violentes, je m’éloignai, cherchant la paix. Assis sur un tronc d’arbre, je grillais une cigarette quand lord Roxton s’avança lentement vers moi.

— Dites donc, Malone, fit-il, avez-vous bien examiné l’endroit où étaient ces bêtes ?

— Très bien, répondis-je.

— Une sorte de cratère, n’est-ce pas ?

— Tout juste.

— Et le sol ? avez-vous remarqué le sol ?

— Des rochers.

— Mais autour de l’eau, à l’endroit des roseaux ?

CONAN DOYLE (à suivre)


UN ANIMAL FANTOMATIQUE

Les explorateurs virent soudain surgir devant eux un de ces terribles dinosauriens des époques primitives – allosaure ou mégalosaure – à la face hideuse s de crapaud, à la peau pustuleuse et dont la bouche crachait de la bave et

du sang.