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L’ASSOCIATION DES HOMMES ROUX

derrière lequel se tenait un petit homme encore plus roux que moi. Il disait un mot à chaque candidat, au moment où ce dernier s’approchait, et lui trouvait toujours quelque défaut qui le disqualifiât. L’admission ne me semblait pas une tâche aussi facile que je me l’étais laissé persuader tout d’abord. Enfin, lorsque vint mon tour, le petit homme roux sembla m’être plus favorable qu’aux autres ; il ferma même la porte afin de causer seul avec nous.

— Je vous amène M. Jabez Wilson, dit mon employé ; il est prêt à entrer dans l’Association.

— Et il a certainement toutes les qualités requises pour cela, répondit l’autre. Je ne me rappelle pas avoir vu une nuance de cheveux aussi parfaite.

Il recula d’un pas, comme pour mieux chercher le jour, regarda à droite, à gauche, et fixa mes cheveux jusqu’à m’intimider. Puis, tout à coup, s’avançant vers moi, il me serra la main et me félicita chaudement de mon succès.

[Illustration de G. da Fonseca]
il est petit, fort, très vif.

— Il serait injuste d’hésiter un instant à vous faire entrer dans l’Association, permettez-moi cependant une précaution qui ne saurait vous blesser, j’espère.

Et, ce disant, il saisit des deux mains une poignée de mes cheveux et tira dessus avec une telle violence qu’il m’arracha un cri de douleur involontaire.

— Vous avez les yeux pleins de larmes, me dit-il, en me lâchant enfin. Je vois qu’il n’y a aucune supercherie ; mais vous comprenez bien que nous sommes tenus aux plus grandes précautions, ayant déjà été mis dedans deux fois par des perruques et une fois par de la teinture. Je pourrais vous faire des récits qui vous montreraient notre pauvre humanité sous un jour fâcheux.

À ce moment mon interlocuteur s’approcha de la fenêtre et cria, de toutes ses forces, à la foule, que la place était prise. Un murmure de désappointement s’ensuivit et chacun rentra chez soi plus ou moins penaud.

Je restai en tête à tête avec l’étrange personnage à la chevelure non moins rousse que la mienne.

— Je m’appelle Duncan Ross, me dit-il, et je suis l’un des membres bénéficiaires de l’Association fondée par notre noble bienfaiteur. —  Êtes-vous marié, monsieur Wilson ? Avez-vous une famille ?

Et sur ma réponse négative, la mine de M. Duncan Ross s’allongea prodigieusement.

— Mon Dieu, dit-il d’un air grave, c’est très fâcheux et je le regrette pour vous, la dotation ayant pour but de perpétuer les têtes rousses et d’en augmenter le nombre. Il est vraiment déplorable que vous soyez célibataire.

— Ce fut à mon tour, monsieur Holmes, de prendre une expression navrée en voyant cette situation m’échapper. Mais, après un instant de réflexion, le gérant m’assura que je serais admis quand même.

— Pour un autre, nous n’aurions peut-être pas consenti à cette faveur, mais vos cheveux sont d’un roux si admirable et si rare que nous ferons pour vous une