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Page:Doyle - Premières aventures de Sherlock Holmes, 1913.djvu/121

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au moment où vous veniez de partir. Alors je vous suivis jusqu’à votre porte et je me convainquis ainsi que j’étais réellement un objet d’intérêt pour le célèbre Sherlock Holmes. Puis, je vous souhaitai le bonsoir, plutôt imprudemment, je l’avoue, et j’allai au Temple voir mon mari.

« Nous avons pensé tous deux que notre seule ressource était la fuite puisque nous allions avoir à lutter contre un si terrible antagoniste, de sorte que vous trouverez le nid vide, lorsque vous viendrez demain. Quant à la photographie, votre client peut être tranquille. J’aime et je suis aimée, et l’homme à qui j’ai voué ma foi vaut mieux que lui. Le roi est libre de faire ce qu’il désire ; ses desseins ne seront pas entravés par celle qu’il a cruellement trompée. Je garde seulement cette image pour ma propre sauvegarde et pour conserver une arme qui me mette toujours à l’abri des démarches qu’il pourrait tenter dans l’avenir. Je laisse une photographie qui lui fera peut-être plaisir, et je suis, cher monsieur Sherlock Holmes, bien sincèrement à vous.

« Irène Norton, née Adler ».

— Quelle femme ! oh ! quelle femme ! s’écria le roi de Bohême lorsque nous eûmes tous trois achevé de lire cette épître. Ne vous avais-je pas dit combien elle était vive et décidée ? N’aurait-elle pas été une reine admirable ? N’est-il pas dommage qu’elle n’ait pas été de mon rang ?

— Par ce que j’ai vu de la dame, elle semble n’être pas en effet de même condition que Votre Majesté, dit Holmes froidement. Je regrette de n’avoir pas mené cette affaire à bien.

— Au contraire, cher monsieur, s’écria le roi. Vous avez parfaitement réussi. Je sais que sa parole est inviolable et je suis aussi tranquille sur le sort de cette photographie que si elle eût été brûlée.

— Je suis heureux d’entendre cette affirmation de la bouche de Votre Majesté.

— J’ai contracté une dette immense vis-à-vis de vous. Je vous en prie, dites-moi ce que je dois faire pour vous en remercier. Cette bague…

Il retira de son doigt une bague d’émeraudes disposées en forme de serpent et la posa sur la paume de sa main.

— Votre Majesté a une chose que j’apprécierais bien plus, dit Holmes.

— Dites-moi quoi, je vous en prie !

— Cette photographie.

Le roi le regarda stupéfait.

— La photographie d’Irène ? s’écria-t-il. Certainement, si vous la désirez.

— Je remercie Votre Majesté. Alors il n’y a plus rien à faire ? J’ai l’honneur de vous saluer. »

Il s’inclina et, s’éloignant sans voir la main que le roi lui tendait, il partit avec moi pour rejoindre son domicile.

Et voilà comment un grand scandale menaça le royaume de Bohême et comment les plans les plus savants de Sherlock Holmes furent déjoués par la finesse et l’intelligence d’une femme. Il se moquait auparavant de l’habileté des femmes, mais depuis il y a renoncé. Et quand il parle d’Irène Adler, ou quand il fait allusion à sa photographie, c’est toujours sous cette dénomination dont il a fait un titre honorable : « La femme. »