Aller au contenu

Page:Doyle - Premières aventures de Sherlock Holmes, 1913.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que leur terre renfermait un produit aussi précieux que l’or, et naturellement il était de mon intérêt de leur acheter ce terrain avant qu’ils en aient découvert la valeur. Malheureusement, je n’avais pas de capitaux suffisants pour faire cette acquisition. Je confiai ce secret à quelques amis, et ils me conseillèrent d’exploiter secrètement le petit gisement qui était chez moi et de réaliser par ce moyen la somme nécessaire à l’achat des terrains voisins. C’est ce que nous avons fait et, pour faciliter nos opérations, nous avons acheté une presse hydraulique. Cette presse, comme je vous l’ai déjà expliqué, s’est détraquée et nous désirons avoir votre avis à ce sujet. Mais nous gardons notre secret très soigneusement, car si l’on venait à savoir que des spécialistes hydrauliciens viennent chez nous, cela donnerait l’éveil ; vous comprenez qu’une fois la vérité connue, adieu notre chance d’acheter ces terrains et d’accomplir notre projet. Voilà pourquoi je vous ai fait promettre de ne pas dire à âme qui vive que vous alliez à Eyford cette nuit. J’espère que vous m’avez bien compris ?

« — Parfaitement. La seule chose que je ne saisisse pas très bien, c’est à quoi vous sert une presse hydraulique pour extraire de la terre à foulon que l’on trouve tout simplement en creusant.

« — Ah ! dit-il, d’un air dégagé, nous avons un procédé à nous. Nous comprimons la terre en briquettes, pour pouvoir la transporter sans que l’on sache ce que c’est. Mais peu importe cette question de détail. Je vous ai maintenant tout dit, monsieur Hatherley, vous voyez quelle confiance j’ai en vous. »

Il se leva tout en parlant.

« — Je vous attends donc à Eyford, à onze heures et demie.

« — Je ne manquerai pas au rendez-vous.

« — Et pas un mot à âme qui vive. »

« Il me fixa d’un dernier et long regard plein de méfiance, et me serrant la main d’une étreinte froide et moite, il sortit rapidement.

« Lorsque j’eus repris mon sang-froid et que j’eus bien réfléchi à tout cela je trouvai très étrange le genre de travail qu’on me proposait ainsi. D’un côté, j’étais assez satisfait, car les honoraires étaient dix fois supérieurs à ceux que j’aurais pu demander et cette commande pourrait m’en amener d’autres. Mais, de l’autre côté, le visage et les manières de mon client m’avaient fait mauvaise impression, et je ne pouvais trouver dans son histoire de terre à foulon une explication suffisante à un voyage nocturne ni à un secret aussi absolu. Enfin, je mis de côté mes appréhensions ; je dînai de bon appétit, et je m’embarquai à Paddington, sans avoir dévoilé quoi que ce soit de mon secret.

» À Reading, j’eus à changer non seulement de voiture, mais aussi de station. Je montai dans le dernier train se dirigeant sur Eyford, et j’arrivai à cette petite gare mal éclairée, à onze heures passées. J’étais le seul voyageur à destination d’Eyford et je ne vis personne sur le quai excepté un homme de peine endormi auprès de sa lanterne. Mais, à la sortie, je trouvai mon client qui m’attendait dans l’obscurité ; sans dire un mot, il me prit par le bras et me fit monter dans une voiture dont la portière était ouverte. Il releva les vitres de chaque côté, frappa contre la paroi et le cheval partit au grand trot.

— Il n’y avait qu’un cheval ? interrompit Holmes.

— Oui, un seul.

— Avez-vous vu de quelle couleur il était ?

— Oui, à la lueur des lanternes je vis que c’était un alezan.

— Paraissait-il fatigué, ou fringant ?

— Oh ! fringant, et il avait le poil brillant.

— Merci. Pardon de vous avoir interrompu. Continuez, je vous prie, votre si intéressant récit.

— Nous partîmes donc et nous roulâmes pendant au moins une heure. Le colonel Lysander Stark m’avait dit que c’était à sept milles, mais je crois, à l’allure à laquelle nous marchions et au temps qui s’écoula entre le départ et l’arrivée, qu’il y avait plutôt douze milles que huit. Mon compagnon ne parlait pas et je sentais son regard fixé sur moi. La route devait être mauvaise, à en juger par les cahots de la voiture. J’essayai de regarder par les vitres, mais elles étaient en verre dé-