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Page:Doyle - Premières aventures de Sherlock Holmes, 1913.djvu/69

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fluence pour bouleverser tous ses plans. Nous voici déjà par un simple procédé d’élimination, arrivés à l’idée qu’elle peut avoir vu un Américain. Quel peut être cet Américain, et pourquoi a-t-il une telle influence sur elle ? Un amoureux, un mari peut-être ? Je savais que la jeune fille avait été élevée dans un milieu primitif et bizarre et voilà où j’en étais lorsque lord Saint-Simon est arrivé. Quand il nous parla de l’homme assis dans le banc, du changement survenu dans la manière d’être de la mariée, de la chute du bouquet, — un artifice si communément employé pour recevoir une lettre, — de l’entretien de lady Saint-Simon avec la femme de chambre sa confidente, et de son expression si significative d’enlever une concession, ce qui en argot de mineurs signifie prendre possession d’une chose appartenant de droit à un autre, la situation devint absolument nette pour moi. La jeune femme était partie avec un homme et cet homme était ou un amoureux, ou un mari, les chances étant en faveur de la dernière hypothèse.

— Mais comment les avez-vous trouvés ?

— Cela aurait pu être difficile, mais l’ami Lestrade avait entre les mains des renseignements dont il ignorait la valeur. Les initiales pouvaient être de la plus haute importance, cependant il était encore plus précieux de savoir que moins d’une semaine avant, l’Américain avait payé une note à l’un des hôtels les plus chers de Londres.

— Comment avez-vous deviné cela ?

— Par les prix. Huit shillings pour une chambre et huit pence pour un verre de sherry indiquaient un des hôtels les plus dispendieux. Il n’y en a pas beaucoup à Londres qui fassent payer ces prix-là. L’examen des registres dans le second hôtel de Northumberland Avenue que je visitai me fournit le nom de Francis H. Moulton, Américain, ayant quitté la veille et dont le compte correspondait avec la note que j’avais eue sous les yeux. On devait faire suivre ses lettres au 226 de Gordon Square où je me rendis. Ayant eu la chance de trouver le jeune couple chez lui, je me permis de leur donner quelques conseils paternels, et de leur faire remarquer qu’il vaudrait mieux, à tous les points de vue, faire connaître plus clairement leur situation au public en général et à lord Saint-Simon en particulier. Je les invitai à venir le rencontrer ici et, comme vous l’avez vu, j’ai obtenu qu’il vînt aussi.

— Sans un heureux résultat, dis-je. Son attitude n’a certes pas été très aimable.

— Ah ! Watson, dit Holmes en souriant, peut-être ne seriez-vous pas non plus très aimable si, après tous les tracas d’une cour et d’un mariage, vous vous voyiez dépouillé en un instant de la femme et de la fortune. Je crois que nous devons juger lord Saint-Simon avec beaucoup d’indulgence, et remercier notre étoile de nous épargner les chances d’une semblable situation. Approchez votre chaise et donnez-moi mon violon, car le seul problème qui nous reste à résoudre est de savoir comment nous tuerons le temps en ces tristes soirées d’automne. »