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Page:Dragomirov - Guerre et paix de Tolstoï au point de vue militaire.djvu/104

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domaine est purement intellectuel, nous en fournit une preuve palpable. Toute vérité nouvelle est acceptée par elle rapidement malgré l’opposition qu’elle peut rencontrer au début. On croyait autrefois à la stagnation du sang dans les veines. Un beau jour quelqu’un a découvert la circulation ; on a disputé là-dessus, puis tout le monde s’est mis d’accord. Même histoire avec la pression de l’atmosphère, qui a remplacé l’hypothèse célèbre : « la nature a horreur du vide ». Idem pour toutes les autres découvertes. Il y a bien eu aussi des « martyrs de la science » et des savants qui ont frisé « le bûcher », pour n’en citer qu’un : Galilée. Mais cela tenait à ce que l’importance de leurs découvertes s’étendait au delà du champ de la science pure, et touchait à des questions d’un tout autre ordre.

C’est qu’en effet, dès qu’on entre dans la vie concrète, tout change : la réalisation, la mise en pratique, passez-moi l’expression, l’incarnation d’une idée absolument neuve, et même des conséquences directes d’une idée avec laquelle une société, une masse humaine sont depuis longtemps familiarisées, sont accompagnées de phénomènes morbides souvent des plus graves. Il faut donc qu’il y ait une force qui s’oppose à l’adoption des idées par la voie de la logique pure. L’observation nous montre que cette force existe réellement, et que cette force c’est l’intérêt personnel et les passions qui, dès que l’ordre de choses existant est menacé du moindre changement, sans parler de quelque chose de plus sérieux, divisent immédiatement la société en deux camps ennemis : l’un qui vise à établir le nouvel ordre de choses, l’autre qui veut conserver l’ancien. La force intellectuelle qui a provoqué cette situation est impuissante à la résoudre. Ce n’est certainement pas avec des paroles que l’on peut convaincre un adversaire qui a intérêt à ne pas reconnaître le bien-fondé des raisonnements qu’on lui tient. Il n’y a qu’une issue : la lutte, lutte qui peut devenir terrible, si ceux qui prêchent les idées nouvelles sont honnêtement convaincus, énergiques, et si leurs convictions sont saintes et sublimes.

Faut-il donc admettre que ce soient les passions qui constituent la force fondamentale à laquelle on doive attribuer les actes des individus et des masses humaines ? Autre erreur, car la lutte ne s’engage jamais qu’au nom de quelque chose ; le contraire serait insensé. Qui fournit donc ce « quelque chose » qui est le