Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/110

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« Attention ! fit Belle-Rose, en se retournant vers la batterie, réduite maintenant à six hommes : quand ils grimperont la pente, il s’agira, cornebleu ! de battre la charge à triples baguettes ! Ça va toujours, petit ?

— Ça va, dit Jean, dont la pâleur avait fait place à une rougeur fiévreuse, et ça ira ! » répéta-t-il.

Depuis qu’il avait entendu les paroles de Kellermann, il se sentait emporté dans la griserie générale,

À quelques pas sur la droite, il fixa un grenadier qu’un coup de canon venait de coucher à terre : son fusil avait été projeté intact à quelques pas et l’enfant se dit :

« Si les Prussiens arrivent jusqu’à nous, je lâcherai mon tambour, je ramasserai ce fusil et je courrai sur les Prussiens avec les autres. »

Il faisait un grand vent et la pluie s’était remise à tomber. Kellermann repassa une seconde fois devant le front des troupes, au galop cette fois : un escadron de cuirassiers le suivait, et, en tête de cet escadron, galopaient le duc de Chartres et le duc de Montpensier, tous deux montrant un remarquable sang-froid.

Le premier de ces deux princes devait être roi des Français, trente-huit ans plus tard, sous le nom de Louis-Philippe, et sa présence, le 30 septembre 1792, dans l’armée de Valmy devait être son titre le plus éclatant à la couronne de France.

Une seconde acclamation retentit et les bataillons de tête de la première ligne s’avancèrent jusqu’au bord du plateau, comme pour éviter à l’ennemi une partie du chemin.

Soudain, l’armée prussienne tout entière s’arrêta.

Brunswick venait de renoncer à l’assaut et, par là même, à la victoire.

Alors la canonnade reprit avec rage des deux côtés : elle dura encore deux heures, deux heures pendant lesquelles l’acharnement et le stoïcisme furent égaux des deux côtés, car le roi de Prusse ne voulut pas reculer devant ceux qu’il appelait des rebelles, et maintint ses troupes sous le feu, caracolant lui-même à cheval devant le premier rang de l’infanterie.

Puis la nuit vint et s’étendit rapidement sous le ciel gris.

En même temps, la pluie redoublait.

Mais nul ne sentait le froid du côté des Français et l’enthousiasme allait croissant. Si Kellermann avait écouté les cris de ses soldats, il eût, à son