Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/222

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Il allait bien faire de son mieux, dans cette bataille qui se préparait, pour franchir au moins un échelon vers l’épaulette ; car il n’espérait plus rien des promesses que lui avait faites le colonel Dorval à Alexandrie : il avait été oublié dans la distribution des récompenses. Peut-être, cette fois, allait-il être plus heureux.

Au moment où cette pensée traversait son esprit, le général en chef pénétra dans le carré dont la 9e demi-brigade faisait partie : il maintenait avec peine un magnifique cheval syrien dont la queue flottante balayait le sable.

Il frémissait et ses yeux lançaient des éclairs.

« Soldats, s’écria-t-il, en montrant du doigt les pyramides, souvenez-vous que du haut de ces monuments quarante siècles vous contemplent ! »

Tout, dans cet homme, empoignait le soldat. Il avait le mot, le geste, la gravité sereine. Jean, électrisé, eut voulut rencontrer son regard ; mais déjà le héros d’Arcole, sorti du carré de Desaix, galopait vers celui de Reynier, suivi de Murat et d’un escadron de chasseurs.

Quelques instants après, les charges des Mameluks arrivaient, rapides comme la foudre. Ces merveilleux cavaliers ne faisaient qu’un avec leur monture : ils bondissaient sur le front et les flancs des carrés, le sabre pendant au poignet, tiraient leur carabine, leur tromblon, leurs quatre pistolets ; puis, mettant le cimeterre à la main, se précipitaient sur le rempart hérissé de baïonnettes.

Mais, comme à Chébréïs, leur audace et leur élan se brisèrent contre ces citadelles mouvantes ; en vain les attaquèrent-ils de front, de flanc et d’arrière : elles crachaient la mort par leurs quatre faces.

Pendant deux heures, ils s’acharnèrent dans cette lutte inégale, passant dans les intervalles des divisions pour foncer sur la réserve, retranchée dans deux villages en arrière ; sentant que, s’ils étaient vaincus, c’en était fait de leur domination sur l’Égypte, de leurs trésors, de leurs palais et de leurs femmes ; combattant avec la rage du désespoir.

Enfin Mourad-Bey, sentant son impuissance, prit le parti de fuir avec les cavaliers qui lui restaient. Il faillit être coupé du désert, et s’échappa avec quelques centaines d’hommes seulement : les autres durent se rabattre sur le Nil et plusieurs milliers s’y noyèrent.

Détail curieux : ce furent leurs cadavres qui, charriés par le fleuve,