Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/313

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conquis, et le Maréchal de Mac-Mahon apparaît debout à son sommet, tête-nue, près du drapeau tricolore qui vient d’y être planté.

Les réserves saluent d’une immense acclamation l’apparition des couleurs de France.

Mais les Russes vont faire des efforts surhumains pour reprendre la clef de leur ville.

Trois épaisses colonnes, envoyées par Gortchakof, montent à l’assaut de la gorge ; un combat désespéré s’engage dans les étroits couloirs qui mènent de l’esplanade intérieure au bastion : le 50e, le 20e le 27e de ligne, le 3e zouaves, les tirailleurs algériens accourent à l’aide ; c’est une lutte corps à corps avec cris, imprécations et insultes comme au siège de Troie ; les cris rauques des turcos répondent aux hourras des Russes ; on se bat à coups de crosse, à coups de pierre ; on se mord, on s’assomme.

Un officier du génie vient dire au Maréchal de Mac-Mahon qu’une mine formidable est sous ses pieds, qu’elle peut éclater d’une seconde à l’autre : il fait la réponse fameuse : « J’y suis, j’y reste ! » et le sauvage et dernier effort des Russes vient se briser contre l’intrépidité de nos soldats.

À la même heure, les Anglais venaient d’échouer une seconde fois dans leur attaque contre le Grand-Redan ; mais le succès des Français à Malakoff compensait tous les insuccès partiels, et, vers cinq heures, Gortchakof donnait à toutes ses troupes l’ordre d’évacuer Sébastopol.

Vers deux heures et demie, le général Bosquet s’était transporté devant le Petit-Redan, où le général Bourbaki venait d’être blessé et l’attaque française repoussée. Il donnait des ordres pour la reprise de cette attaque au général de La Motterouge, lorsqu’un éclat d’obus le frappa derrière l’épaule droite.

Henri Cardignac le vit chanceler et s’élança ; mais, au même moment, lui-même s’affaissait : un biscaïen venait de lui trouer la poitrine.

— Jean ! oh ! Jean ! fit-il en tombant.

Pierre, qui ne le quittait pas plus que son ombre, se précipita vers lui en poussant un cri déchirant.

Deux infirmiers accoururent avec une civière et une heure après, Henri Cardignac était transporté à l’ambulance du Moulin.

Pierre l’y avait suivi tout en armes.

Jean, prévenu aussitôt, n’avait pu quitter sa batterie, et, rempli d’une