Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/240

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— Urgent ?

— Très urgent.

— Viens.

L’Iman avait disparu par une petite porte basse dissimulée près du Mambar par un tapis de Smyrne. Saladin fut introduit dans la pièce où il s’était retiré.

L’Iman n’était pas seul : en face de lui était assis un homme a la barbe grise, à la figure énergique.

Le Katib parla à l’oreille de l’lman et alla s’accroupir dans un coin.

Après un instant de silence pendant lequel Saladin attendait debout :

— C’est pour la grande affaire ? dit lentement le chef de la mosquée.

L’interprète fit un signe affirmatif.

— Tu peux parler librement ici, voilà Sidi-El-Allouan, notre seigneur le Mofti[1] d’El-Djezair ; quelle est ta Zaouia ?

— Ma Zaouia, reprit Saladin ôtant le turban qui couvrait sa tête, je n’en ai pas ; je ne suis ni Khouan, ni Moqadem, je suis un habib, un ami.

Les deux Arabes avaient pâli sous leur voile de soie blanche.

Au lieu de la tête rasée du musulman et de la mèche traditionnelle de cheveux qui permet au laveur des morts de tourner et de retourner son patient pour les dernières ablutions, grâce à laquelle aussi Allah peut enlever les croyants dans son paradis au jour du jugement, leur interlocuteur montrait une tête dont les cheveux poussaient drus et fermes comme des soies de sanglier.

Dans son coin le Katib se leva, la main sur le manche d’un poignard dont le fourreau de cuivre brillait dans l’ombre :

— Ordonne à cet homme de se calmer, dit Saladin dédaigneux ; si tu me fais disparaître, on me cherchera, car je ne suis pas le premier venu et tu regretterais de t’être attiré une aussi sotte affaire en un pareil moment.

  1. Le Moftî est l’interprète de la loi : il donne les décisions ou feloa sur les questions de droit et de religion ; c’est le titre le plus élevé des fonctions religieuses officielles ; il y en a un à Alger et dans quelques autres grandes villes.